L'ordre étrange des choses - La vie, les sentiments et la fabrique de la culture
Samedi 23 Juin 2018 Lecture 41871Thierry JOURDAN, docteur vétérinaire
Antonio Damasio est un neuroscientifique portugais travaillant sur la cognition et les émotions faisant partie de la poignée des tout meilleurs. Toute sa carrière s'est déroulée aux Etats-Unis. Polyglotte, philosophe, et doté d'une immense culture, ses ouvrages comptent. Depuis 1995 avec "L'erreur de Descartes : la raison des émotions" il met en exergue la notion de marqueur somatique disqualifiant évidemment la dualité corps-Esprit et où il démontre que nos processus décisionnels sont inefficaces sans les émotions. Il prolonge ces données dans "Spinoza avait raison: Joie et tristesse, le cerveau des émotions" en 2003.
Dans "L'autre moi-même. Les nouvelles cartes du cerveau, de la conscience et des émotions" en 2010, il rend compte des marqueurs corporels et circuits existants permettant l'émergence de la conscience au fil de l'évolution. Il affine les notions de protosoi, de soi-noyau, et du soi autobiographique déjà abordés dans "Le sentiment même de soi. Corps, émotions, conscience" écrit en 1999.
Il est évident que ces données ont une grande portée pour le monde vétérinaire, avec notamment la sensibilité, la douleur ou la conscience animale.
Son dernier ouvrage traite de l'importance considérable des sentiments dans une optimisation de l'homéostasie nécessaire à la survie de l'individu. Partant des organismes les plus simples, il aborde l'homéostasie. L'émergence des émotions permet une meilleure régulation chez les organismes dotés de noeuds neuronaux puis de ce qui est appelé le deuxième cerveau aujourd'hui (le système nerveux du tube digestif) mais qui est en réalité arrivé en premier au cours de l'évolution. Plus le système nerveux se développe et plus les comportements se complexifient : les sentiments sont un atout sélectif majeur de survie.
La création biologique de la culture est un processus homéostasique supplémentaire qui progressivement aboutit au partage et à la transmission de la technologie mais aussi aux règles morales, aux croyances religieuses, à l'art mais encore au sentiment de justice et au droit, puis à la politique et l'économie.
Antonio Damasio réfléchit enfin aux limites de cette homéostasie culturelle fait pour des groupes de quelques dizaines d'individus en constatant nos échecs d'humains face aux guerres, ou à l'épuisement de notre planète. Il constate que nous avons toutes les connaissances et le savoir-faire pour permettre le bien être humain égal pour tous : nous portons le fardeau de la liberté et celui de notre conscience rajoute-t-il.