L'intelligence humaine n'est pas un algorythme

Thierry JOURDAN, docteur vétérinaire

Olivier Houdé a un parcours singulier. Instituteur de formation, il s'est intéressé à la psychologie des enfants, l'oeuvre de Jean Piaget l'ayant fortement influencé. Son expérience de terrain lui montre que le développement des enfants n'est ni linéaire, ni en escaliers. Il devient docteur en psychologie puis dirige un laboratoire au CNRS (Centre national de la recherche scientifique). Ce laboratoire dédié au développement et à l'éducation des enfants, utilise l'IRM (Imagerie par résonance magnétique) fonctionnelle. En conséquence, les compétences de notre auteur sont transversales, de la pédagogie aux neurosciences cognitives et émotionnelles.

Dans cet ouvrage qui fait suite à « Apprendre à résister », il expose les capacités des bébés puis des enfants et complète les recherches de Piaget et Daniel Kahneman (Prix nobel d'économie en 2002).

Dans le cerveau, il existe un circuit court doté d'un système heuristique à base de pensées automatiques et intuitives et un circuit long doté d'un système algorithmique à base de pensées logico-mathématiques.

Olivier Houdé y rajoute un troisième circuit doté d'un système d'inhibition jouant un rôle d'arbitrage permettant d'interrompre le circuit court au profit du circuit long.

Apprendre, c'est être en capacité d'inhiber. L'inhibition est tout aussi bien activée pour des fonctions de savoir que pour des compétences sociales : comprendre ce qui se passe dans le cerveau d'un autre nécessite de freiner les tendances égocentrées.

Olivier Houdé aborde ensuite le sujet des algorithmes (dont le nom provient du savant perse Al-Khwarizmi, et qui sont nés des premières méthodes de calculs avec des lettres cunéiformes sur des tablettes en argile en Mésopotamie). Le père fondateur de l'intelligence artificielle (IA) est Alan Turing et après la cybernétique ou les systèmes experts d'aide à la décision, on assiste à l'essor de la robotique et de l'hyperpuissance informatique au travers des algorithmes, et enfin, on aboutit à l'intelligence artificielle.

Les informaticiens font face à de multiples bugs et biais, se sont inspirés pour élaborer le must d'un cerveau artificiel de l'architecture du cortex visuel et se basent sur la puissance de calculs pour accumuler big datas, statistiques et corrélations. Les avanies et les dérives sont légions avec des IA qui deviennent racistes ou sexistes. Les psychologues et les neuroscientifiques ne sont pas surpris : Il manque à l'IA la faculté d'inhiber les biais. Il manque aussi toutes les autres dimensions que ce que mesure le QI (quotient intellectuel). Qui plus est, les recherches de Damasio ont montré que sans émotions, les prises de décisions sont erratiques. Damasio a aussi montré l'importance des marqueurs somatiques dans la remontée des perceptions et informations au cerveau. Un cerveau sans un corps ne fonctionnera pas.

L'intelligence artificielle (et son avatar, l'homme augmenté) est donc très loin d'être opérationnelle et ressemble plus que jamais à un fantasme.

Olivier Houdé aborde aussi la prévention des biais cognitifs, des stéréotypes, des croyances ou des décisions absurdes qui ont grande importance en termes éducatifs pour les enfants mais aussi pour les adultes en tant que résistance aux fausses informations.

L'inhibition des biais cognitifs a une assise neuronale (correspondant aux recherches de Jean-Pierre Changeux et sa théorie du darwinisme neuronal) et un corrélat en imagerie fonctionnelle. 

Olivier Houdé montre enfin comment la notion de regret est décisive quant à l'inhibition des mécanismes courts ; c'est en élaborant de multiples scénarios d'anticipation et de prises de décision que nous évaluons les conséquences et inhibons ceux qui pourraient induire le plus de regrets. Cela rejoint les thèses de Damasio sur le sens moral.

L'intelligence humaine n'est donc pas qu'un algorithme. Elle est beaucoup plus.