L'incroyable vie de la peau
Samedi 9 Avril 2022 Lecture 43748Thierry JOURDAN
C'est à la vue des écorchés que, de manière paradoxale, l'auteur a pris conscience de l'importance de la peau alors même que la spécialité de la dermatologie n'était pas la plus reconnue.
Pourtant, la peau est un couteau suisse aux innombrables fonctions, barrière protectrice aux multiples couches se renouvelant en permanence, cellules agencées de manière à ce que ces couches restent hermétiques. Chaque défaillance de la peau nous révèle ses fonctions. Froid, chaud, lumière, stress engendrent de multiples réactions cutanées contribuant à notre intégrité et à notre homéostasie. L'odeur de notre sueur dirige en partie notre comportement social et sexuel. Bien entendu, le rôle immunitaire de la peau est décisif ainsi que ses capacités de réparation lorsqu'une blessure ou une agression survient.
Kératinocytes, fibroblastes ou cellules de Langerhans sont des acteurs majeurs de notre peau mais les mystères de notre peau sont nombreux : d'où viennent les dermatoglyphes (empreintes digitales) et quelles sont leurs fonctions ? Pourquoi certains agents de notre peau induisent une hypertension artérielle ?
Le microbiote a meilleure presse aujourd'hui mais il reste difficile de le penser mutualiste, voire commensal. Lorsque levures, bactéries et acariens sont révélés, c'est quand ils posent des problèmes à l'occasion de rougeurs, d'acné, de dermite séborrhéique voire d'épidermolyse toxinique staphylococcique. Les archées commencent à être étudiées et leurs fonctions fascinantes s'exercent surtout en deçà de douze ans et au-delà de soixante ans. Nous resterons discrets sur le mode de vie des demodex sur notre visage mais sachez qu'ils nous sont intimement fidèles dans nos lignées familiales depuis des dizaines de milliers d'années. Leur ADN pourrait bien nous dire de quel coin de la planète nous venons. Le microbiote est partageur mais d'autres habitants bien moins séduisants, poux ou gales et autres larves viennent parfois nous perturber, manque de peau... Néanmoins, le microbiote cutané commence à être pensé en termes de médicaments.
Intérieur et extérieur communiquent et le tube digestif exerce une influence par de multiples circuits sur la peau par tout ce qui est ingéré pour le meilleur et pour le pire, mais aussi par le système immunitaire arbitré par le microbiote intestinal. Il devient de plus en plus clair que le cerveau, les intestins et la peau participent à l'équilibre psychique.
L'auteur aborde l'influence de la lumière sur la peau sous ses aspects les plus dramatiques tels que les cancers de la peau, leurs apparitions et leur prévention, la pigmentation ou son défaut, mais aussi par la fourniture de la majeure partie de la vitamine D, vitamine certes mais aussi hormone.
Il aborde aussi la vieillesse de l'organe sous l'angle biologique et sociétal car la peau devient un enjeu, une quête de jeunesse. La peau s'entretient tout au long de la vie et surtout elle doit être protégée du soleil, des excès alimentaires, tabagiques, de la pollution et elle est le reflet de notre hygiène de vie. L'auteur engage à une discussion sur la perception de la vieillesse dans la société plutôt qu'à céder aux sirènes de multiples produits et procédés censés rendre jeunesse à la peau.
Le toucher est magique, sens qui nous permet d'interagir avec les mondes et avec les autres. Quatre types de mécanorécepteurs se conjuguent pour faire de nos mains des merveilles de technologies ultraperformantes :
Les cellules de Merkel sont sensibles à la pression et détectent les formes, les aspérités, les rainures. Les corpuscules de Meissner enregistrent l'apparition ou la disparition de la pression et permettent l'ajustement en permanence pour tenir fermement des objets. Les corpuscules de Pacini permettent de ressentir les pressions exercées sur le bout d'un objet que nous tenons de telle sorte que le scalpel du chirurgien est son prolongement. Enfin, les corpuscules de Ruffini détectent tout étirement horizontal de la peau et donc réagit aux changements de position de notre main et de ses articulations.
Le monde sensoriel de la peau discute avec la carte sensitive de la peau dans le cerveau. La qualité et la précision du toucher diminuent avec l'âge.
Fort heureusement, le toucher possède aussi une dimension sociale et affective au travers des fibres C tactiles plus lentes qui rejoignent notre cerveau limbique associé aux émotions. Les chatouilles méritent votre lecture...Les démangeaisons aussi.
Les circuits de la douleur font appel à des nocicepteurs mécaniques, thermiques et chimiques. Le zona nous révèle, de manière saisissante, les zones de peau desservie par les nerfs. La douleur elle-même est un phénomène multidimentionnel qui peut être gardé en mémoire alors même que la partie du corps douloureuse a disparu.
Le toucher permet de communiquer ; il permet de soigner aussi. Il est indispensable au développement des prématurés, nourrissons et des enfants. Il permet encore de lire (le braille), d'écrire, d'utiliser les nouvelles technologies.
La peau est en interaction avec l'esprit et nombre de maladies psychosomatiques la touchent pouvant aller jusqu'au délire d'infestation cutanée. Le stress et le rougissement sont aussi des exemples d'interaction esprit/peau.
L'auteur traite aussi de la dimension anthropologique et sociale des scarifications et tatouages dans nombre de sociétés.
La peau peut aussi devenir une source de division et de discrimination quant à sa couleur, quant à l'expression de maladies, de signes présents sur la peau comme des grains de beauté, des tâches de naissance.
Merci donc à l'auteur de nous avoir fait toucher du doigt l'extrême importance de la peau et d'embrasser toutes ses dimensions en profondeur.