L'impact de la border disease encore sous-estimé en France
Mercredi 25 Mai 2022 Animaux de rente 44186L'atteinte des brebis par le virus de la border disease risque d'entraîner la naissance d'animaux infectés permanents immuno-tolérants, sources de contamination.
© GDS 64
Corinne DESCOURS-RENVIER
Epidémiologie
La border disease1 est une pestivirose dont l'impact est loin d'être négligeable dans certains départements français comme les Pyrénées-Atlantiques (64). Les animaux infectés permanents immuno-tolérants jouent un rôle essentiel dans la propagation de la maladie. En l'absence de traitement, la prophylaxie est la seule méthode de lutte efficace, éventuellement associée à la vaccination.
La border disease1 est une maladie virale susceptible de pénaliser lourdement les élevages ovins. Elle est en effet responsable de mortalité embryonnaire et d'avortements, ainsi que de pathologies néonatales pouvant entraîner des pertes de croissance ou la mort des agneaux...
Installation progressive
La border disease est due à un pestivirus spécifique des ovins. Mais ces derniers peuvent aussi être infectés par un autre virus de la même famille, à l'origine de la diarrhée virale bovine (BVD).
La maladie a été décrite pour la première fois en 1959 dans la région frontalière (« border ») séparant l'Angleterre du Pays de Galles, où elle sévissait de manière endémique. Depuis, elle s'est répandue à travers le monde.
En France, la border disease a été identifiée pour la première fois en 1983-1984 dans le bassin de Roquefort où elle entraînait des troubles particulièrement sévères, non seulement chez les agneaux mais aussi chez les adultes. Cette forme grave, « petega ovina » ou « aveyronite »2, est à l'origine du premier plan de lutte collective dirigé contre la border disease.
Depuis, la maladie s'est implantée dans d'autres régions françaises. Son incidence réelle sur notre territoire est toutefois difficile à estimer, en l'absence de dépistages systématiques.
« La situation dans les Pyrénées-Atlantiques est tout à fait représentative de l'évolution de la border disease en France », explique Julien Garrot-Poublan, animateur filière petits ruminants, GDS 64. « Alors que les premiers plans de lutte dans notre département remontent déjà à une vingtaine d'années, nous avons encore du mal à évaluer précisément les pertes liées à la maladie et à stopper sa progression. »
Depuis environ trois ou quatre ans, notre confrère Michael Chastel, vétérinaire à Tardets (64), constate effectivement une montée de la maladie dans sa clientèle, constituée d'environ 35 000 brebis laitières dont 70 % partent en transhumance.
Les IPI, sources insidieuses de contamination
Le tableau clinique « classique » de la border disease associe généralement mortalité embryonnaire et avortements. « On observe de très nombreux avortements dans un élevage durant l'année de sa contamination », confirme Julien Garrot-Poublan.
L'atteinte des brebis avant le 80e jour de gestation risque par ailleurs d'entraîner la naissance d'animaux infectés permanents immuno-tolérants (IPI) (voir figure). Les IPI restent porteurs du virus après leur naissance, sans développer d'anticorps. Excrétant le virus en permanence, ils sont sources de contamination pour le reste du troupeau et devraient être éliminés. Si un ovin est contaminé après sa naissance, il éliminera au contraire le virus en quelques jours à quelques semaines et ne transmettra donc plus la maladie.
Faibles et chétifs, les agneaux IPI présentent souvent des symptômes caractéristiques : anomalies de la toison (poil hirsute avec abondance du poil de jarre), symptômes nerveux (tremblements observés dès la naissance) ou encore malformations osseuses, oculaires...
« Le nombre d'agneaux atteints est parfois très important », déplore Julien Garrot-Poublan qui précise que ces animaux meurent jeunes en général. Toutefois, certains IPI, dont l'aspect extérieur semble normal, ne sont malheureusement pas identifiés par l'éleveur...
Porte d'entrée pour d'autres pathogènes
Le reste du troupeau risque quant à lui d'être plus souvent malade : diarrhées, mammites, problèmes de reproduction... « Le virus, en affaiblissant les défenses immunitaires des animaux, sert en effet de porte d'entrée à d'autres pathogènes », explique Michael Chastel. « On observe davantage d'affections, plus difficiles à soigner. »
« L'ensemble des symptômes caractéristiques de la border disease n'est pas forcément présent dans un même troupeau », ajoute notre confrère. « Au contraire, la maladie circule souvent sans attirer l'attention de l'éleveur. »
Risque accru dans les élevages pratiquant la transhumance ou associant ovins et bovins
Le plus souvent, la maladie apparaît dans un troupeau après introduction d'un animal atteint dont le statut est passé inaperçu jusque-là ou par contact avec un cheptel contaminé (voisinage, transhumance...).
La résistance du virus étant faible dans le milieu extérieur, les animaux IPI jouent ensuite un rôle essentiel dans la propagation de la border disease au sein de l'élevage.
Le virus peut aussi être transmis par un certain nombre d'actes : injections avec des aiguilles contaminées, castration, biberonnage...
Enfin, les ovins peuvent aussi s'infecter s'ils se trouvent en contact étroit avec des bovins excrétant le virus de la diarrhée virale bovine (BVD), auquel ils sont également sensibles.
Miser sur la prophylaxie en l'absence de traitement
En l'absence de traitement, la prophylaxie est la seule méthode de lutte efficace contre la maladie.
Dans un troupeau indemne, l'éleveur devra rester prudent en cas de regroupement d'animaux. Les nouveaux éléments devraient être systématiquement testés ou provenir d'un cheptel reconnu indemne. Le respect des bonnes pratiques d'hygiène, de nettoyage et de désinfection du matériel est un autre facteur de protection.
Enfin, il est conseillé de séparer les ovins des bovins, pour limiter les risques de transmission inter espèces. Or beaucoup de cheptels comportent des bâtiments mixtes ovins/bovins.
Dans un troupeau contaminé, on évitera en priorité de propager la maladie aux autres élevages (transhumance, foires). « Nous conseillons aux éleveurs touchés de prévenir leurs voisins et leurs co-transhumants », explique Michael Chastel. Un conseil qui n'est malheureusement pas toujours suivi en pratique...
Vaccination, un complément aux mesures de biosécurité
Second volet de la prévention de la border disease, la vaccination se fait hors AMM3, à l'aide de vaccins destinés aux bovins : Bovela ND ou Mucosiffa ND. Seuls les vaccins vivants atténués ont fait preuve d'une certaine efficacité.
« La vaccination est de mieux en mieux acceptée par les éleveurs, surtout lorsqu'ils constatent des avortements dans leur cheptel », explique Michael Chastel. « Si elle concerne a minima les agnelles de l'année, voire les antenaises4, elle se pratique de plus en plus souvent sur troupeau entier, pour limiter l'impact clinique de la maladie dans l'élevage. »
Notre confrère déplore toutefois que l'immunité obtenue soit imparfaite et de courte durée5, ce qui implique de réaliser de fréquents rappels.
« Le coût de la vaccination étant significatif, la décision de vacciner ou non le cheptel sera prise au cas par cas, en fonction des conseils du vétérinaire », conclut notre confrère.■
1 Maladie de la frontière.
2 Chute de production laitière chez les brebis, syndrome hémorragique mortel avec diarrhée chez les agneaux...
3 AMM : Autorisation de mise sur le marché.
4 Ovins dans leur 2 e année.
5 Environ 6 mois.
Gros Plan : Des plans de lutte évolutifs en fonction de la propagation de la maladie
Très vite après l'arrivée de la border disease1 en France dans les années 80, des méthodes de lutte originales ont vu le jour, tenant compte des spécificités de l'élevage ovin. Une trentaine d'années plus tard, leur efficacité est cependant remise en question par les éleveurs, qui peinent à maîtriser l'évolution de la maladie dans certaines zones. Le département des Pyrénées-Atlantiques (64) en particulier illustre les difficultés rencontrées par les vétérinaires et leurs clients confrontés à la border disease.
Apparue en France dans les années 80, la border disease1 est une maladie virale susceptible de pénaliser lourdement les élevages ovins.
Dans les départements les plus touchés, comme les Pyrénées-Atlantiques (64), des plans de lutte collectifs ont vu le jour pour tenter d'enrayer la propagation de la maladie. Ils sont régulièrement remis en cause, en fonction de l'évolution des connaissances sur la border disease.
Identifier les IPI dans les élevages contaminés
En cas de suspicion, la circulation du virus de la border disease sera confirmée à l'échelle du troupeau grâce aux analyses sérologiques2 réalisées sur plusieurs animaux considérés comme représentatifs.
Il serait ensuite important de repérer les animaux infectés permanents immuno-tolérants (IPI)3, de façon à les écarter définitivement de la reproduction et de la commercialisation. Positifs à la recherche du virus par PCR4, ces animaux sont négatifs à la recherche d'anticorps, ce qui permet de les distinguer des infectés transitoires qui, eux, fabriquent des anticorps contre le virus.
« La détection des IPI ne se fait pas encore systématiquement en pratique, car elle est très coûteuse », déplore Michael Chastel, vétérinaire à Tardets (64). « Elle paraît pourtant indispensable pour assainir correctement un élevage ! »
Notre confrère regrette également que le typage du virus ne puisse pas être davantage réalisé en pratique, la gravité des symptômes pouvant varier considérablement d'une souche à l'autre.
Plan de lutte en constante évolution
Le contrôle de la border disease repose sur des principes proches de ceux de la lutte contre le BVD. Toutefois, les caractéristiques de la filière ovine et l'absence de politique de lutte nationale ont incité les régions touchées à développer leurs propres stratégies.
« Le premier plan de lutte organisé dans notre département remonte déjà à une vingtaine d'années », explique Julien Garrot-Poublan, animateur filière petits ruminants, GDS 64. « A l'époque, il consistait à dépister la maladie dans les élevages présentant des signes cliniques évocateurs. En cas de sérologie positive sur agnelle de moins d'un an, un accompagnement était ensuite proposé à l'éleveur. »
A l'époque, la détection des IPI par virologie sanguine ne permettait d'identifier qu'un très faible nombre d'animaux, ce qui rendait leur élimination difficile. Après concertation avec les écoles nationales vétérinaires, le GDS 64 a alors incité ses adhérents à vacciner leur cheptel5.
En 2012, 35 % des 174 troupeaux évalués par le GDS 64 avaient des laits séropositifs et une circulation récente du virus a été identifiée chez 14 % d'entre eux. La commission ovine a alors pris la décision d'étendre le dépistage à l'ensemble des cheptels adhérents du département.
Priorité au dépistage collectif
« Durant la période 2012-2013, la border disease semblait se répandre, même si son expansion réelle était difficile à évaluer », rappelle Julien Garrot-Poublan. « A l'époque, elle figurait même dans le top 3 des maladies abortives. La majorité de nos adhérents ayant une activité laitière, nous avons alors privilégié le dépistage6 sur lait de tank dans notre nouveau plan de lutte collectif. »
En cas de résultat positif, une recherche d'anticorps sur sérum était alors effectuée sur les agnelles de l'année, une sérologie positive indiquant une circulation récente du virus.
En présence de signe clinique, la vaccination était alors proposée à l'ensemble du troupeau. Dans le cas contraire, les éleveurs étaient invités à vacciner au moins les agnelles de l'année, les IPI n'étant pas systématiquement recherchés.
« Depuis 2013, la part de la border disease dans les avortements a beaucoup diminué dans notre département », se réjouit Julien Garrot-Poublan. « Nous avons toutefois constaté courant 2020 que la circulation du virus se poursuivait malgré nos efforts. »
Développer la recherche des IPI par PCR
Le GDS 64 évalue maintenant l'intérêt de la recherche des IPI chez les élevages qui viennent d'être contaminés.
« En 2021, nous avons suivi onze élevages témoins par PCR sur lait de tank et, en parallèle, par PCR sur sang des agnelles de l'année par lots de 5, avec analyse individuelle en cas de résultat positif », explique Julien Garrot-Poublan. « Au final, des IPI ont été identifiés dans cinq élevages. »
Dans ces 11 élevages, la recherche par PCR sur lait de tank se poursuivra en 2022 pour identifier les animaux qui seraient passés à travers les mailles du filet l'an dernier et les agnelles de l'année seront par ailleurs testées, pour chercher d'éventuels IPI. Enfin, le suivi sera étendu cette année à une trentaine de nouveaux élevages.
Pour la première fois, la circulation des virus du BVD et de la border disease sera mesurée dans les élevages mixtes, ovins et bovins, afin de quantifier les risques de contamination inter espèces.
« Un nouveau point est prévu cet été pour évaluer l'effet de ces mesures », explique Julien Garrot-Poublan. « Nous envisageons notamment de nous rapprocher davantage de ce qui se fait chez les bovins en matière de lutte contre le BVD. »
« Au départ, les éleveurs n'étaient pas très enclins à participer au plan de lutte », remarque Michael Chastel. « Ils se montrent maintenant de plus en plus intéressés, car ils évaluent mieux l'impact de la maladie sur leur cheptel. » C.D.-R.
1 Maladie de la frontière.
2 Recherche d'anticorps.
3 L'atteinte des brebis avant le 80 e jour de gestation risque d'entraîner la naissance d'animaux infectés permanents immuno-tolérants.
4 PCR : Polymerase chain reaction .
5 Vaccination hors AMM, à l'aide de vaccins destinés aux bovins : Bovela ND ou Mucosiffa ND.
6 Recherche d'anticorps.