Julien Solonel : « Les vétérinaires sont des baromètres de la France d'aujourd'hui »
Vie de la profession 53067Julien Solonel est journaliste au Parisien Week-End.
© Olivier Roller
Rencontre
Julien Solonel est l'auteur d'un livre* consacré à la profession vétérinaire (lire DV n° 1741). Dans La France vue par les vétérinaires, il dresse un état des lieux juste et sans complaisance d'une profession plébiscitée par le public mais qui véhicule encore beaucoup de clichés. Il nous a accordé une interview dans laquelle il souligne les motivations qui ont prévalu à cette écriture.
■ La Dépêche Vétérinaire : Nous avons cru comprendre que vous n'aviez jamais interagi avec les vétérinaires avant l'écriture de ce livre. Qu'est-ce qui vous a motivé pour vous lancer ?
Julien Solonel, auteur du livre La France vue par les vétérinaires : Effectivement, avant d'écrire ce livre je n'avais jamais poussé la porte d'un cabinet vétérinaire, que ce soit dans ma vie personnelle ou dans le cadre de mon métier de journaliste. Dans mon esprit, le vétérinaire incarnait surtout le métier dont rêvent les enfants. Je l'imaginais par ailleurs vaguement comme un homme d'une cinquantaine d'années affable et érudit, soignant les bobos de caniches en centre-ville... Voilà pour les clichés !
Un jour, j'ai discuté avec la soeur d'un vétérinaire qui m'a raconté certains aspects du métier, comme la nouvelle place des animaux de compagnie, le coût des soins ou le poids de l'euthanasie. Autant d'aspects que je ne soupçonnais pas et qui m'ont donné envie de m'intéresser à cette profession finalement assez méconnue malgré son image très positive dans le grand public.
Et plus j'ai enquêté et rencontré de vétérinaires, plus je me suis rendu compte que ce qu'ils vivent au quotidien entre en résonance avec des évolutions de la société française dans son ensemble. Par exemple, la crise de la ruralité, la montée en puissance de la notion de bien-être animal, l'avènement des réseaux sociaux ou encore le débat sur la fin de vie.
■ D.V. : Vous êtes journaliste au Parisien Week-End. Au cours de votre carrière, avez-vous vu croître l'importance des animaux dans vos colonnes ?
J.S. : Les sujets sur les animaux de compagnie ont toujours intéressé les lecteurs ! Je me souviens d'avoir lu - et écrit parfois - de nombreux articles sur les chiens héroïques ou sur des chats qui font des centaines de kilomètres pour retrouver leur maître... Ce qui a changé ces dernières années, dans la foulée notamment des vidéos de L214 et des questionnements autour de l'agriculture industrielle, c'est la demande sociétale de prise en compte du bien-être animal. On a vu apparaître des papiers sur l'interdiction des spectacles avec des animaux sauvages, sur le retour du loup mais aussi sur la tendance des « pets parents » ou les mutuelles vétérinaires. A tel point que le site Internet du Parisien compte depuis trois ans une rubrique « Animaux » qui regroupe tous les articles sur ce sujet qui passionne.
■ D.V. : Quelle méthodologie avez-vous utilisée pour l'écriture de ce livre et comment avez-vous choisi les vétérinaires que vous avez interrogés ?
J.S. : J'ai commencé mon enquête de manière classique en me documentant sur les vétérinaires - leur histoire, combien sont-ils, comment devient-on véto, quelles sont les spécialités, etc. - et leur actualité. Puis j'ai appelé les acteurs institutionnels - Ordre des vétérinaires, syndicats, associations - pour approfondir certains thèmes et leur demander des coordonnées de vétérinaires.
En parallèle, j'ai contacté des vétos directement à leurs cabinets ou via les réseaux sociaux. Pendant plusieurs mois, j'ai interviewé par téléphone de nombreux praticiens - une soixantaine au total - en essayant d'avoir un panel le plus large possible en termes de localisation, de type de pratique, d'âge mais aussi de points de vue. Pour avoir la matière la plus concrète et la plus vivante possible, je me suis également rendu dans différents cabinets où j'ai passé entre deux heures et deux jours.
■ D.V. : Quels grands enseignements tirez-vous de votre enquête et quel regard portez-vous aujourd'hui sur la profession vétérinaire ?
J.S. : Un des enseignements principaux, c'est à quel point les vétos sont quelque part des baromètres de la France d'aujourd'hui. Ils ont assisté aux premières loges au déclin d'une certaine forme de ruralité et n'ont pas attendu les récentes lois pour s'intéresser au bien-être animal. Quand l'inflation réduit le pouvoir d'achat des Français, ils le perçoivent dans leur cabinet. Je pense également qu'on gagnerait à écouter ce qu'ils ont à dire sur l'euthanasie dans le cadre des débats sur la fin de vie.
J'ai aussi été particulièrement marqué par leur rôle de sentinelle face aux épizooties et autres zoonoses et ce, malgré un manque criant de moyens. Pour conclure, je dirais que la profession a été secouée ces dernières décennies par des évolutions sociétales - féminisation, baisse de l'agriculture, nouveau rapport au travail, remise en cause des sachants, Internet ... - auxquelles elle a mis du temps à s'adapter. Cela a pu aboutir, pour certains, à ce fameux malaise des vétos même si la grande majorité des professionnels que j'ai rencontrés se disent très heureux de faire leur métier. ■
* La France vue par les vétérinaires, Julien Solenel, 21 euros, éditions Buchet-Chastel.