Interventions au vêlage : prendre systématiquement la douleur en charge
Mercredi 22 Juin 2022 Animaux de rente 44097Une des études les plus récentes, française, a évalué l'impact de l'administration pré-chirurgicale d'un AINS sur les performances reproductrices ultérieures de primipares allaitantes charolaises.
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Analgésie
La prise en charge de la douleur par des AINS lors d'interventions au vêlage est recommandée, de manière systématique, pour le couple mère/veau. De nombreuses publications convergent sur les effets positifs d'une telle prise en charge : récupération clinique plus rapide de l'intervention, meilleure involution utérine, reprise plus rapide de la rumination et de la production laitière, instinct maternel préservé, meilleure acceptation du veau, risque de réforme réduit.
Une cinquantaine d'articles scientifiques sur la douleur chez les bovins sont publiés chaque année depuis 2017. La thématique qui l'emporte est celle de l'écornage/ébourgeonnage (6 articles en 2021 et déjà 4 sur les 15 publiés au premier trimestre de 2022).
Selon les années, elle est rattrapée ou non par la thématique plus vaste de la perception de la douleur des bovins par les éleveurs/praticiens, sa gestion ou le comportement des animaux algiques. Suivent les thématiques de la castration (4 articles en 2021 mais déjà 2 en 2022) et celle des protocoles anesthésiques ou chirurgicaux (4 également en 2021). La prise en charge de la douleur lors du vêlage et/ou des dystocies est plus rarement abordée dans la littérature et alors toujours par l'administration d'AINS.
Pour ce qui est de la reproduction, deux événements peuvent être associés à de la douleur : le vêlage dystocique (avec intervention) et la césarienne (qui en est parfois l'aboutissement). Plusieurs évaluations ont été publiées pour les niveaux de douleur associés à ces deux interventions. Le niveau de douleur estimé peut varier selon les études car il s'agit d'une perception souvent empirique.
Ainsi, une étude estime que, sur une échelle de douleur de 1 à 10, une naissance dystocique induit un niveau algique évalué à 4 1 . Dans deux autres enquêtes, réalisées auprès de praticiens bovins français, le niveau de douleur de la dystocie est estimé à 7,3 sur 10 pour la plus ancienne 2 et, pour la plus récente 3 , à 7/10 avant l'intervention, 8/10 pendant et 5 dans les 24 heures suivantes.
La césarienne perçue comme le plus douloureux par les éleveurs
Une autre enquête, auprès de vétérinaires européens, a estimé à 7/10 l'intensité de la douleur après une césarienne (l'amputation d'onglon était à 8/10)4. Dans l'enquête française, alors que plus de 95 % des praticiens déclaraient prendre en charge la douleur aiguë après l'amputation, un peu moins de 60 % le faisaient après la césarienne.
Du côté des éleveurs, plusieurs enquêtes ont constaté que la césarienne fait partie des interventions chirurgicales perçues comme les plus douloureuses pour la vache, devant l'écornage des veaux 5 .
Sur les dystocies, qui ont des répercussions sur le bien-être immédiat de la vache et sa carrière ultérieure (fertilité, production laitière et même survie), la dernière publication en date6 évalue, à partir de près de 48 000 vêlages dans 40 exploitations Holstein italiennes, l'impact d'un vêlage assisté (20,5 % de ceux enregistrés) sur la productivité des vaches laitières.
Les auteurs ont délibérément compté toute intervention humaine, même minime, comme un vêlage assisté. Les élevages comptaient en moyenne
690 vaches (de 121 à 1 921) et enregistraient l'ensemble des données de réforme, reproduction (y compris vêlages assistés) en continu sur 2019 et 2020.
Certaines gestations plus à risque d'intervention
La prévalence des vêlages assistés augmente avec la parité : le risque est de 24 % supérieur chez les vaches de parité 3 + par rapport à celles de parité 2, et de + 29 % par rapport aux primipares (p{>}0,0001). L'une des raisons pourrait être le recours fréquent au croisement avec une race à viande sur les vaches âgées.
Les gestations dépassant 279 jours étaient également à risque d'intervention (+ 22 %, p{>}0,0001), tout comme les vêlages d'hiver (+ 12 %) et de printemps (+ 13 % , p{>}0,0001) et la naissance de veau mâle (+ 39 %, p{>}0,0001).
Les répercussions sur la carrière de la vache de cet épisode douloureux sont aussi quantifiées :
- la productivité laitière moyenne sur 60 jours est inférieure chez les primipares comme chez les multipares lors d'intervention au vêlage (- 20,5 kg, p=0,01 et - 35,1 kg, p{>}0,0001) ;
- la productivité moyenne attendue sur 305 jours était également inférieure dans les deux cas (- 75,8 et - 60,5 kg, p=0,02) ;
- mais surtout, le risque de réforme dans les 30 jours suivant le vêlage est significativement plus élevé chez les primipares comme les multipares (+ 68 et + 37 %, respectivement, par rapport aux vaches de même catégorie mais ayant vêlé sans intervention, p{>}0,0001).
Pour ce qui est des césariennes, l'une des études les plus récentes est française 7 . Elle a évalué l'impact de l'administration pré-chirurgicale d'un AINS (prise en charge la douleur et l'inflammation post-opératoires) sur les performances reproductrices ultérieures de primipares allaitantes (charolaises).
Meilleurs confort des animaux et prise alimentaire
Sur les hivers de 2015 à 2017, 127 césariennes ont été incluses (dont 66 ayant reçu un AINS avant intervention). Tous les cas ayant présenté des complications de l'intervention ont été exclus de l'analyse des données. Après l'intervention et la visite de contrôle, les vaches ont été suivies sur 520 jours.
Le groupe ayant reçu l'AINS a présenté un taux de gestation (suivante) significativement plus élevé que le groupe témoin (83,1 vs 67,8 %, p=0,04), tandis qu'il n'y avait pas de différence pour la proportion de rétentions placentaires, ni l'intervalle vêlage-vêlage. Toutefois, l'intervalle médian entre les vêlages a été plus court de 35 jours dans le groupe ayant reçu le traitement et le taux de réforme était moindre dans le groupe de vaches traitées avec un AINS par rapport aux témoins (4,7 vs 13,3 %, en limite de signification p=0,09).
Ces effets positifs sur la reproduction peuvent être liés à la prise en charge pré-opératoire de la douleur, qui entraîne un meilleur confort des animaux après l'intervention et une meilleure prise alimentaire pendant les jours qui suivent.
Que ce soit pour le bien-être de la vache, du veau ou leur carrière ultérieure, la prise en charge de la douleur par des AINS lors d'interventions est recommandée, de manière systématique, pour le couple mère/veau8. De nombreuses publications convergent sur les effets positifs d'une telle prise en charge : récupération clinique plus rapide de l'intervention, meilleure involution utérine, reprise plus rapide de la rumination et de la production laitière, instinct maternel préservé et meilleure acceptation du veau, qui va avoir une prise colostrale améliorée et une espérance de vie accrue sur les premières semaines, et pour la vache, risque de réforme réduit. ■
1 Huxley JN and Whay HR. Current attitudes of cattle practitioners to pain and the use of analgesics in cattle. Vet Rec 2006 159 (20) : 662-668
2 Dartevelle, G. Étude des pratiques analgésiques des vétérinaires ruraux chez les bovins en France. Thèse ENVT, 2014, 132 p. https://oatao. -toulouse.fr/12268/1/Dartevelle_12268.pdf
3 Bonhomme O. Enquête sur les pratiques analgésiques des vétérinaires français lors d'affections du péripartum chez les bovins. Thèse VetAgroSup, 2020, n° 47, 270 p. www2.vetagro-sup.fr/bib/fondoc/th_sout/dl.php?file=2020lyon047.pdf
4 Guatteo R. et coll. Attitudes et pratiques actuelles des vétérinaires praticiens vis-à-vis de la prise en charge de la douleur chez les bovins. Résultats d'une enquête européenne. Bull GTV, 2008; 44 : 57-64.
5 Roger O. Enquête sur les attitudes des éleveurs de bovins vis-à-vis de la détection et de la prise en charge de la douleur. Thèse de doctorat d'exercice vétérinaire. 2008. Nantes. N° N-2008-061.
6 Probo, M. et coll. Calving Ease Risk Factors and Subsequent Survival, Fertility and Milk Production in Italian Holstein Cows. Animals , 2022, 12 , 671. https://doi.org/10.3390/ani12060671
7 Mauffré V. et coll. Meloxicam administration in the management of postoperative pain and inflammation associated with caesarean section in beef heifers: Evaluation of reproductive parameters. Theriogenology, 2021, 175, 148-154. https://doi.org/10.1016/j.theriogenology.2021.09.005
8 GTV64 et Boehringer Ingelheim. Charte Douleur Ruminants, 2021, 41 p.