Hypertypes : stopper la sélection d'animaux en souffrance

Des affiches sensibilisant sur l'atteinte au bien-être que la sélection d'hypertypes engendre ont été distribuées au Congrès de l'Afvac.

© D.R.

Élevage

La problématique de la sélection d'hyper ­types a été mise en lumière lors du congrès de l'Afvac*, à Lyon, du 28 au 30 novembre, par l'association, notamment via la diffusion d'une affiche de sensibilisation, fruit d'un travail commencé avec l'Académie vétérinaire de France depuis deux ans. La sélection d'hypertypes fixe dans les populations concernées des sujets exprimant des anomalies physiques ou parfois comportementales qui, au minimum, affectent leur bien-être. Selon notre confrère zootechnicien Bernard Denis, on entend par hypertype « toute déviance sélective à partir du type racial idéal, concernant soit la conformation dans son ensemble, soit un élément de celle-ci, se traduisant par une expressivité extrême, voire excessive, de particularités inscrites au standard de la race considérée, qui peuvent parfois résulter d'une interprétation tendancieuse de ce dernier ».

La Dépêche Vétérinaire : Toutes les races sont-elles concernées par l'hypertype ? La consanguinité est-elle en cause ?

Eric Guaguère, past-président de l'Afvac, Gilles Chaudieu, vice-président délégué aux éditions à l'Afvac* : Toute race est susceptible d'évoluer, seule ou par sélection, vers une morphologie ou des aptitudes différentes de ses dispositions originelles, surtout si elle est en vogue ou/et à forte valeur ajoutée. 

Inversement, la conservation des aptitudes spécifiques de certains groupes de chiens, le respect des types morphologiques raciaux qui encadrent utilement les standards de races chez le chat, s'opposent à cette dérive.

Les sujets éloignés du type morphologique moyen de l'espèce sont les plus « à risque » : au sein d'un élevage, on pourra, par consanguinité, modifier un type dans le sens désiré en trois ou quatre générations.

Si l'hypertype devient la norme raciale, le retour au type antérieur reste difficile par habitude mais possible s'il subsiste assez de variabilité génétique, c'est à dire de sujets différenciés entre eux, issus d'élevages où la consanguinité large est la règle, consanguinité d'un élevage ne signifiant pas obligatoirement consanguinité au sein de la race. 

D.V. : Les standards sont-ils mal rédigés ? Leur interprétation est-elle correcte ?

E.G. et G.C. : Le standard est « la description méthodique de l'archétype de la race » (Bernard Denis, 2007). Il fait référence à l'extérieur du sujet, n'est pas immuable et peut, si son pays d'origine le propose, être modifié. Ainsi, les standards de races évoluent.

Les races de chiens sont classées en groupes dont les phénotypes correspondent à des aptitudes naturelles initiales exploitées par l'Homme, appréciées lors de tests et d'épreuves de travail.

L'intégration des standards raciaux félins dans quatre types morphologiques principaux fixe les limites des variations des standards par rapport au type moyen et facilite un choix raisonné des propriétaires.

Une lecture vétérinaire des standards montre que leur rédaction serait globalement peu critiquable, même si certaines formulations peuvent favoriser l'apparition d'hypertypes, mettant par déduction en évidence le rôle néfaste d'une interprétation extrémiste, qui induit chez certains éleveurs la volonté de produire le sujet « toujours plus de type » pour plaire. L'hypertype devrait au contraire être assimilé à un manque de type.

D.V. : Quelle est la situation actuelle ?

E.G. et G.C. : Depuis presque quarante ans, l'Association mondiale des vétérinaires spécialisés en petits animaux (WSAVA : World small animal veterinary association) met en garde contre les risques d'appliquer une politique de sélection morphologique dangereuse pour la santé des animaux et conseille une étude attentive des standards de races pour relever les points susceptibles de favoriser une dérive dans ce sens. Un groupe de réflexion « hypertypes » s'est constitué en son sein, de même que son homologue « bien-être » de la Fecava (Federation of european companion animal veterinary associations) lors du congrès WSAVA/Fecava de Copenhague en 2017. Le premier a émis des recommandations relatives au SROB (Syndrome respiratoire obstructif des brachycéphales).

La formule du professeur A. Hedhammar au congrès WSAVA/FECAVA de Copenghague (2017) fixe l'objectif: « Des animaux dont le type extrême affecte la santé ou le bien-être ne devraient pas être utilisés en élevage ».

De 2000 à 2016, on est passé de 1 600 à 6 508 inscriptions pour le bouledogue français et de 3 901 à 6 989 inscriptions pour l'épagneul cavalier king Charles, chez qui 60 naissances seulement étaient répertoriées en France en 1980 !

De même, les inscriptions du Bengal passaient de 153 en 2003 à 3 063 en 2016, celles du Maine coon, de 1 313 en 2003 à 10 897 en 2016. Lors de progression importante et rapide de certains effectifs raciaux à la mode, la surutilisation de certains champions trop valorisés, l'action de certains éleveurs, clubs de races et juges, en produisant, promotionnant et récompensant toujours plus de type, ne pouvaient qu'emballer une dérive vers l'hypertype.

Le succès actuel de certaines races se traduit aussi par une production hors Lof ou hors Loof sur laquelle aucun contrôle de type n'est exercé, à partir de reproducteurs ayant simplement une apparence de race ou non confirmés bien qu'issus de parents confirmés. Leur type racial est susceptible de s'écarter du standard : à supposer que leurs naisseurs ou revendeurs fassent preuve de modération ou de discernement, cette filière reste incontrôlable, bien que soumise à une pression sélective indirecte par les acquéreurs qui réclament « plus de type ».

D.V. : La recherche d'hypertypes présente-t-elle des risques pour la santé ?

E.G. et G.C. : A court et moyen terme, les risques pour la santé résultent directement de la dérive morphologique imposée (masse trop élevée, anomalies d'angulations, face trop courte, plis cutanés en excès...), soit qu'elle nuise au bien-être, soit qu'elle engendre de véritables états pathologiques (dysplasies articulaires, syndrome obstructif respiratoire, dermatoses...). La banalisation, voire l'exploitation de cette situation par la mise en valeur d'hypertypes raciaux auprès du public, relayée par les réseaux sociaux, en est la conséquence redoutable.

A long terme, l'augmentation de la fréquence des génotypes homozygotes tend à fixer plus rapidement les caractères morphologiques préférentiellement sélectionnés et fragilise parallèlement les produits de l'élevage (diminution de la fécondité et de la robustesse) tout en augmentant la fréquence des maladies autosomiques récessives.

Le recours excessif à certains champions et à leur descendance réduit fortement la variabilité génétique : robustesse, prolificité et longévité de la race sont alors affectées jusqu'à la « dépression consanguine ». Seul le croisement permet à ce stade de restaurer fécondité et résistance.

D.V. : La disparition des hypertypes pourrait-t-elle passer par celle de l'animal de race?

E.G. et G.C. : Le tri initial sur un phénotype désiré procure une base de sélection réduite au sein d'un élevage où la production « familiale » crée des conditions favorables à une consanguinité resserrée, surtout si un sujet remarquable correspondant à des critères extrêmes d'interprétation du standard est produit, récompensé et sur-utilisé. Il induira une augmentation de l'expression d'un ou plusieurs caractères dans la race et parfois une dérive vers un hypertype.

Si l'effectif de l'élevage reste en consanguinité large avec une production de sujets dans le standard moyen de la race, l'éleveur sera tenté d'introduire ponctuellement des sujets extérieurs pour donner du type et devra être attentif au statut génétique des reproducteurs, connaître les conditions dans lesquelles ils ont produit, l'émergence de maladies récessives en quelques générations - autre problème - devenant possible.

Des races sélectionnées avec raison devraient se perpétuer dans de bonnes conditions, sauf imprévu.

Si la dépression consanguine risquait de faire disparaître certaines populations, les multiples raisons d'attachement de l'Homme à des compagnons « à sa mesure » mais sans déviance condamnable seraient le moteur de reconstitutions à partir d'effectifs raciaux extérieurs de morphologie et d'aptitude peu différentes (« retrempe »).

L'idée reçue selon laquelle corniauds ou chats de gouttière devraient être préférentiellement élevés pour éviter les tarés de race pure ne résiste pas à l'analyse : depuis près de trois siècles, la sélection continue est le moteur de l'amélioration génétique à partir de cheptels bien différenciés, supports d'élevage solides dans un effectif racial sain.

D.V. : Quelles mesures initier ou favoriser pour éviter la production d'hypertypes ?

E.G. et G.C. : D'une manière générale, les informations relatives à la santé d'un chien ou chat de race doivent être collectées et figurer sur le document généalogique ou en annexe de ce document. C'est actuellement l'objet de toutes les attentions de la SCC et du Loof : les informations relatives à la santé figurent sur les documents généalogiques, les coefficients de consanguinité sont également disponibles pour chaque reproducteur.

Il est essentiel de produire dans le type : le standard définit l'archétype de la race, la sélection est susceptible de modifier son interprétation de façon insidieuse d'abord, assumée ensuite, dès lors que la prime à l'hypertype devient règle. Les acteurs de la production hors Lof/Loof restent moins accessibles car moins identifiables mais une argumentation développée auprès du public pour le sensibiliser pourrait indirectement leur parvenir. Il conviendrait de limiter à un chiffre raisonnable, selon l'effectif de chaque race, le nombre de saillies d'un étalon pour éviter la propagation d'un excès de type et une perte de variabilité pour un petit effectif.

Entre vétérinaires, il y a possibilité de partager les données médicales et chirurgicales collectées, susceptibles de permettre un recensement des hypertypes produits.

Deux domaines sont à surveiller particulièrement : la chirurgie préventive ou correctrice (voies respiratoires supérieures dans le syndrome obstructif des brachycéphales, prévention du développement de signes cliniques permettant de repérer simplement les défauts de développement ostéo-articulaire, correction de malformations graves des annexes de l'oeil, paupières notamment) et l'assistance à saillie ou le recours à la césarienne programmée systématiques dans certaines races.

On devrait éviter d'élever à partir de sujets corrigés chirurgicalement et, autant que possible, faire en sorte que l'assistance vétérinaire à la reproduction et la mise bas ne devienne pas une règle dans certaines lignées.

Les propriétaires « amoureux » de sujets hypertypés doivent assumer le choix qu'une tendance au moment de l'achat du chiot ou du chaton leur aura inspiré pour partie mais qui reste fondamentalement le leur. Ils devraient savoir que certains critères sont à respecter pour le bien-être du chien ou du chat, souvent incompatibles avec ceux, esthétiques et sociétaux qui les ont influencés.

Cependant, ils doivent être clairement informés au moment de la vente : respect des articles 1602 du Code civil (CC) (explications claires sur la chose vendue) et L-214.8 du CC (conseils, certificat vétérinaire).

D.V. : Quelles actions sont actuellement menées par les structures concernées?

E.G. et G.C. : Tous les acteurs de la filière doivent être conscients que l'hypertype est assimilable à un état pathologique dans la mesure où il peut, ne serait-ce que potentiellement, être nuisible au bien-être du sujet. La certification des origines et la publication de données relatives à la santé, qu'elles soient consécutives à des examens cliniques et/ou des tests génétiques, dans les documents généalogiques, sont maintenant la règle et on doit en féliciter la SCC et le Loof. 

La commission Relations Homme-animal de l'Académie vétérinaire de France (AVF), présidée par Claude Milhaud, et l'Afvac ont entamé depuis 2 ans une réflexion sur les hypertypes, concrétisée par un avis académique du 21 juin 2018 relatif aux hypertypes canins et une campagne de communication incluant chien et chat regroupant les organisations professionnelles sous l'égide de la Marque vétérinaire et l'AVF, lancée par l'Afvac lors du congrès de Lyon en novembre (kakemono, affiche). Cette affiche est disponible sur le site Internet de l'Ordre des vétérinaires.

Encore plus d'infos !

Affiche de sensibilisation disponible sur : https://bit.ly/357aJiv

* Afvac : Association française des vétérinaires pour animaux de compagnie.

Article paru dans La Dépêche Vétérinaire n° 1507

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