BI Journée mondiale des vétérinaires

Féminisation de la profession : « Rétablir la parité est une question interdite »

Pour notre confrère Christophe Degueurce, le déséquilibre du sex ratio dans la profession est un sujet éminemment plurifactoriel.

© D.R.

Analyse

Les écoles vétérinaires sont en première ligne pour constater la désaffection des hommes envers le métier vétérinaire et, de ce fait, la surreprésentation féminine. Une discrimination positive au niveau du recrutement n'a jamais été envisagée ; elle serait déloyale au regard de la valeur mérite, la prédominance des femmes étant très marquée dans les candidatures aux écoles vétérinaires, et n'a aujourd'hui aucun caractère de légalité. Directeur de l'école vétérinaire d'Alfort, notre confrère Christophe Degueurce estime que faire revenir les hommes dans le cursus vétérinaire passe par un préalable : la compréhension de ce qui détermine ce défaut d'attractivité de la profession vétérinaire pour les jeunes hommes.

La Dépêche Vétérinaire : La sous-représentation des garçons dans le cursus vétérinaire est-elle considérée comme problématique par les écoles vétérinaires ?

Pr Christophe Degueurce, directeur de l'école vétérinaire d'Alfort : Cette question ne fait pas aujourd'hui l'objet d'un débat ; elle relève du constat. Il est vrai que le mouvement social autour de la question de l'égalité femme-homme ne prédispose pas à une telle remise en question de la prédominance constatée des femmes dans les écoles nationales vétérinaires (ENV). Cette sur-représentation, qui est tout sauf une spécificité française, prend ses racines bien en amont de la formation puisque les hommes sont nettement moins nombreux que les femmes à candidater.

Pour moi, le rôle des ENV est de tenter de répondre aux besoins professionnels. C'est ainsi que les problèmes démographiques ont été identifiés et ont conduit à une hausse très significative des vétérinaires formés, tout comme le déficit de diversités sociale et géographique a amené au développement de la voie post-bac.

Avec cette nouvelle voie, nous avons par exemple réussi à faire venir plus d'étudiants boursiers dans nos établissements (12 % de boursiers Secondaire, soit environ 40 % de boursiers Supérieur). La surreprésentation des femmes reste par contre tout aussi marquée dans cette nouvelle voie.

La question du genre, si elle devait être considérée comme devant être travaillée, serait autrement complexe à envisager et ne pourrait être abordée que dans un contexte de questionnement national, comme l'a été la question du taux minimal de boursiers dans le supérieur, et de mise en place d'un arsenal juridique lourd.

D.V. : Quels facteurs peuvent expliquer selon vous ce sex ratio déséquilibré ?

C.D. : C'est un sujet éminemment plurifactoriel. Pour qu'il puisse y avoir féminisation d'une profession, il faut que sa structure évolue de manière à la rendre possible, en l'occurrence le développement de la pratique animaux de compagnie, l'évolution des mentalités, des représentations sociales, notamment véhiculées par les médias, le statut de la profession au sein de la société etc.

Et puis, partout, les métiers associés aux soins attirent beaucoup les femmes, probablement encore plus quand il s'agit d'animaux.
A l'ENVA, l'inversion du sex ratio s'est produite au début des années 1990 (voir figure).

A titre personnel, je ne me suis pas mobilisé sur la question du sex ratio car elle emporte une réflexion de fond d'ampleur nationale qui me dépasse largement. Toute autre était la question du post-bac, qui est un standard européen, une forte attente sociétale, qui est organisée juridiquement et... qui est une réalité dans la mesure où la majorité des nouveaux vétérinaires exerçant en France sont déjà formés via une voie post-bac. Rien à voir avec la question posée, libre de toute réflexion.

En France, nous privilégions un principe d'égalité républicaine et la discrimination positive sur le genre n'est aujourd'hui pas envisageable sans évolution législative. J'ai déjà vu mis en place dans d'autres pays européens une discrimination positive où, à compétences égales, un homme ou une femme peut être préféré, mais il ne s'agissait que de recrutements de personnels, pas d'étudiants.

La féminisation vétérinaire se constate dans tous les pays et est même plus marquée dans d'autres États mais, à ma connaissance, cette situation ne fait pas l'objet d'initiative visant à rétablir une forme de parité.

D.V. : Faut-il y réfléchir ?

C.D. : L'étude de ce sujet sera passionnante ; c'est l'identification des causes du désamour de la gent masculine pour cette profession qui permettra de trouver des facteurs de motivation propres à les conduire à s'engager dans cette voie. Il me semble que les ENV ne sont pas en première ligne sur ce qui relève d'une question d'attractivité professionnelle à l'égard d'un genre.

Plus que la surreprésentation féminine, la question vise de toute façon plus, à mon avis, à comprendre pourquoi les hommes sont si peu présents. Comme le signalait l'ethnologue Catherine Tourre-Malen dans l'étude qu'elle consacrait en 2016 à la féminisation de la profession : « La féminisation d'une profession est un processus qui résulte de sa transformation », et il est vrai que la profession vétérinaire a évolué profondément depuis les années 1980.

Il ne faut pas faire de la féminisation la cause de ces bouleversements ; ils en sont d'abord la conséquence même s'ils engendrent, ensuite, de nouvelles évolutions comme la prise en compte d'autres valeurs ou d'impératifs organisationnels, comme le plus grand recours au salariat.

Aujourd'hui, la profession vétérinaire n'est plus une profession masculine et, du reste, les instances professionnelles relaient souvent auprès du public l'image de la vétérinaire, et c'est bien normal compte tenu du sex ratio professionnel.

Ce que je veux dire, c'est que la problématique est de toute façon infiniment complexe et la masculinisation forcée du métier - qui n'est pas près de survenir - ne changerait probablement pas les tensions qui existent dans la profession. C'est un sujet à étudier mais sans passion et sans urgence, et surtout sans pointer du doigt les femmes vétérinaires.

Ratio des femmes par année de diplomation à l'école vétérinaire d'Alfort entre 1950 et 2019
Ratio des femmes par année de diplomation à l'école vétérinaire d'Alfort entre 1950 et 2019

Article paru dans La Dépêche Vétérinaire n° 1587

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