Faire face à une plainte d'un client
Mercredi 10 Juin 2020 Vie de la profession 34415© Coralie Vigny
Valérie DUPHOT
Exercice
Comment réagir face à un client qui porte plainte ? Les ateliers de gestion du SNVEL*-SVRP** consacrés aux « Outils concrets et efficaces pour l'entreprise vétérinaire » ont permis de rappeler l'importance de connaître le Code de déontologie et de se faire assister lors de procédure ordinale ou au tribunal civil.
« Plainte ordinale, assurance responsabilité civile professionnelle (RCP), tribunal, expert, dommage, réparation... sont des sujets qui concernent les praticiens dans leur exercice. Les plaintes pour maltraitance d'animaux seront peut-être également un sujet à l'avenir » , a rappelé notre consoeur Caroline Dabas en introduction de sa conférence sur le thème « Mon client va porter plainte » lors des ateliers de gestion du SNVEL*-SVRP** consacrés aux « Outils concrets et efficaces pour l'entreprise vétérinaire » , le 3 octobre, dans les locaux de Centravet, à Maisons-Alfort.
Les plaintes ordinales sont connues des clients, qui peuvent trouver des informations sur le site Internet de l'Ordre des vétérinaires.
« En 2018, 133 plaintes ordinales ont été déposées, dont 91 par des clients particuliers », précise Caroline Dabas.
Possibilité d'être assisté
Les clients doivent envoyer un courrier recommandé avec accusé de réception à l'Ordre, un courriel de dénonciation ne suffit pas.
Elle rappelle que toute la procédure disciplinaire ordinale a été revue en 2017, avec le regroupement de plusieurs régions. Chaque région organise les chambres de discipline dans sa capitale régionale.
Le secrétaire général du greffe est un élu en charge de l'administration du disciplinaire, il centralise les plaintes. Le rapporteur, nommé par le président de la chambre de discipline parmi les élus de la région du vétérinaire mis en cause, a une obligation de conciliation. Il entend les parties et leur explique la procédure.
La conciliation, obligatoire dans la réforme de la procédure disciplinaire, est une chance de renouer le dialogue et de faire retirer sa plainte par le client : le vétérinaire mis en cause a tout intérêt à aborder la conciliation de façon constructive.
« Il est possible de se faire assister dès le début de la procédure par un avocat ou un confrère non conseiller ordinal », précise Caroline Dabas. « Dans 90 % des cas, le client veut des explications, de l'argent et ne pas payer ».
Uniquement les manquements à la déontologie
Si la conciliation échoue, le rapporteur devient enquêteur sur les manquements à la déontologie (pas sur les fautes professionnelles). Il recueille le témoignage des parties. La charge des preuves appartient au plaignant. Le vétérinaire peut se faire assister lors de la procédure contradictoire.
La plainte peut être classée sans suite si le magistrat le décide. Si elle n'est pas rejetée, le vétérinaire est convoqué en chambre de discipline dans sa capitale régionale.
« Le président est un magistrat professionnel, les assesseurs sont des élus ordinaux d'une autre région tirés au sort. Leur récusation est possible », détaille notre consoeur.
Pas de dédommagement financier
Le procureur est le président du Conseil régional de l'Ordre des vétérinaires.
Le vétérinaire mis en cause peut se faire assister par un avocat ou un confrère non conseiller ordinal.
Il risque un avertissement, un blâme, une réprimande, une interdiction d'exercice avec sursis total ou partiel, sur tout le territoire ou pas...
Il n'existe pas de dédommagement financier du client, ni d'amende pour le praticien.
Le jugement est mis en délibéré et les dépens sont à la charge du perdant. Un appel, suspensif, est possible.
Un nouveau rapport, une nouvelle enquête et une tentative de conciliation sont entrepris. Le tribunal concerné est alors celui de la chambre supérieure de discipline, à Paris, au siège du Conseil national de l'Ordre des vétérinaires (CNOV).
Jugement par ses pairs
Le vétérinaire ne risque pas de condamnation plus importante qu'en première instance si c'est lui qui fait appel.
L'appel est possible auprès du Conseil d'Etat. La procédure retourne au CNOV si le jugement est cassé.
Les principaux motifs de cassation en Conseil d'Etat concernent des problèmes de proportionnalité des peines.
« Une plainte ordinale est pénible, le vétérinaire doit se justifier, il est jugé par ses pairs. Elle est limitée aux manquements à la déontologie, d'où l'importance de bien connaître le Code de déontologie. Le client n'obtient pas de réparation financière » , résume l'intervenante.
Plainte ordinale parfois instrumentalisée
Ce type de plainte est parfois instrumentalisé par le client pour aller au tribunal civil.
En cas d'action en RCP, qui est une procédure amiable contradictoire, le vétérinaire doit donner à son client les coordonnées de son assureur. Une convocation à une réunion amiable menée par un expert sera envoyée par courrier recommandé.
Le praticien peut réclamer un expert vétérinaire pour sa défense. La charge de la preuve appartient au demandeur (le client et son expert), qui doit prouver la faute et son lien avec le préjudice.
Un procès verbal contradictoire est rédigé. Le rapport de chaque expert est transmis à l'assurance.
« Les juristes de l'assurance paient ou pas en fonction des conclusions de leur expert et de l'estimation des responsabilités », indique Caroline Dabas. Si un accord est trouvé, une clause de renonciation et de confidentialité doit être exigée.
Attention aux interventions de convenance
Si la procédure amiable échoue (l'expert du vétérinaire n'a pas reconnu de faute, celui du client n'a pas apporté de preuves suffisantes, le client n'est pas d'accord avec le montant de la réparation du préjudice), le client peut aller au tribunal.
Notre consoeur souligne que toute intervention de convenance (castration de cheval, gynécologie équine, stérilisation des animaux de compagnie) constitue une situation à risque.
« Devant le tribunal, la procédure est codifiée et cela devient un combat d'avocats », insiste-t-elle. La RCP du vétérinaire couvre ses frais d'avocat et d'expertise : il est très important de vérifier les plafonds d'intervention de son assurance. C'est au vétérinaire d'apporter la preuve qu'il a rempli son devoir d'information auprès du client, d'où l'importance de faire signer un document de consentement éclairé.
Jusqu'à la fin de l'année, le choix du tribunal (d'instance ou de grande instance) dépend du montant du litige. A partir de 2020, il s'agira uniquement du tribunal judiciaire.
Transaction possible lors de procès civil
L'expertise judiciaire peut être demandée par le plaignant ou le défendeur. Les frais d'expertise sont à la charge du demandeur et fixés par le juge. L'expert judiciaire est un vétérinaire, qui devient le technicien du juge et qui est inscrit sur une liste de chaque cour d'appel.
Il est important d'avoir un expert de parti, aide technique de l'avocat : ses honoraires sont pris en charge par l'assureur professionnel.
La charge de la preuve appartient au plaignant sauf pour les obligations d'information.
Le calcul du préjudice peut dépasser la valeur vénale de l'animal.
Lors d'un procès civil existe la possibilité d'une transaction à tout moment. Un appel est possible sauf au tribunal de proximité (litiges inférieurs à 4 000 euros).
« Il ne faut pas sous-estimer ni surestimer le pouvoir de nuisance du client », avertit Caroline Dabas. ■
* SNVEL : Syndicat national des vétérinaires d'exercice libéral.
** SVRP : Syndicat des vétérinaires région Paris-Ile-de-France.
Gros Plan : Les différents types d'experts vétérinaires
Des experts vétérinaires judiciaires ou de parti interviennent dans la défense des confrères mis en cause lors d'une plainte d'un client. Notre confrère Laurent Faget (expert près la cour d'appel de Bordeaux) précise les modalités du choix et la fonction de ces deux types d'experts.
■ La Dépêche Vétérinaire : Par qui sont proposés les experts vétérinaires intervenant dans la défense d'un confrère lors de plainte au tribunal civil ?
Laurent Faget (DE en droit et expertise vétérinaire, expert près la cour d'appel de Bordeaux) : L'expert judiciaire est désigné par un magistrat alors que l'expert de parti est désigné par chacun, qu'il soit demandeur ou défendeur.
Tout vétérinaire peut être conseil du moment où il s'estime compétent. Dès lors, il existe plusieurs possibilités : soit l'assureur dispose d'un réseau d'experts qu'il missionne selon les domaines de compétences concernés, soit la personne mise en cause peut demander directement à une consoeur ou un confrère de l'assister.
Le choix peut être guidé par les compétences techniques ou par l'expérience dans le domaine expertal.
En effet, une expertise contradictoire nécessite certes des compétences techniques mais surtout la maîtrise de notions juridiques et des procédures.
Contrairement à l'expert judiciaire qui est l'expert du magistrat (donc neutre), l'expert de parti conseille et contribue à la défense ou aux réclamations. La plupart du temps, étant donné que l'assureur assume le coût des émoluments versés, c'est lui qui propose l'expert.
■ D.V. : Des experts vétérinaires judiciaires pour chaque domaine d'activité figurent-ils sur la liste de chaque cour d'appel ?
L.F. : Pas de manière précise malheureusement. Chaque cour d'appel dispose d'une liste d'experts inscrits ayant prêté serment.
Aujourd'hui, les domaines techniques des experts judiciaires vétérinaires sont détaillés dans une nomenclature disponible sur le site des cours d'appel dite A 14 Santé vétérinaire qui regroupe cinq sections : biologie vétérinaire, chirurgie vétérinaire, imagerie vétérinaire, médecine vétérinaire et qualité et sécurité alimentaire.
Cette manière de segmenter notre activité n'est plus le reflet de notre exercice professionnel. On espère que dans un futur pas trop lointain, elle puisse évoluer en particulier en faisant apparaître les espèces pour lesquelles les experts sont compétents.
■ D.V. : Comment travaillent les experts de parti, aides techniques de l'avocat lors de procès civil ?
L.F. : Les experts de parti apportent une contribution technique au dossier. Ils assistent aux réunions d'expertises et sont là pour mettre en lumière des éléments qui sont destinés à être discutés avec l'expert judiciaire. Cela nécessite un très gros travail préparatoire.
Dans un second temps, au fur et à mesure que l'expert judiciaire fait part de ses analyses et demande des précisions, l'expert de parti doit accompagner la réponse qui sera faite par les avocats.
Il se doit d'être avisé, voire pugnace, en effet, le débat étant contradictoire, charge à chaque parti de faire valoir ses arguments pour que l'expert judiciaire transmette au magistrat un avis qui lui soit favorable. ■