Environnement : des leviers d'action pour le vétérinaire, par exemple dans la prescription des APE

En cas de prescription d'APE systémiques, il pourrait être préconisé de demander aux propriétaires de ramasser les crottes de leur chien pendant les 15 premiers jours.

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Michel JEANNEY

Une seule santé

Le module Biodiversité au congrès de l'Afvac*, à Marseille, a été l'occasion d'identifier les actions possibles du vétérinaire en tant qu'acteur du maintien des équilibres des écosystèmes. La prescription des APE a servi d'exemple. L'insuffisance des données est criante mais un guide de bonnes pratiques sera bientôt disponible.

« Le vétérinaire, acteur incontournable du maintien des équilibres des écosystème » était le thème de la 6e édition du module Biodiversité coorganisé par notre consoeur Véronique Luddeni (SNVEL) et notre confrère Erik Asimus (Afvac*), le 2 décembre, au congrès de l'Afvac, à Marseille.

Deux conférenciers vétérinaires étaient invités : Floriane Lanord (membre de l'association EcoVéto) et François Moutou (épidémiologiste), habitué de ce module, qui a traité de l'histoire des brucelloses, « de Néandertal au Bargy », au travers de l'évolution de la bactérie Brucella, fortement tributaire de celle des écosystèmes.

Montée en puissance de la préoccupation environnementale chez les vétérinaires

De façon concrète, Floriane Lanord s'est intéressée à la prise en compte, dans la prescription vétérinaire, de la santé environnementale et de la préservation de la biodiversité à l'aide de l'exemple des antiparasitaires externes (APE), en s'appuyant, quand cela était possible, sur des études malheureusement encore trop peu nombreuses.

Elle a évoqué la montée en puissance dans la profession vétérinaire de la préoccupation environnementale, citant comme preuve la croissance exponentielle de l'association EcoVéto, créée en 2015 par notre consoeur Florence May, qui a multiplié par 10 son nombre d'adhérents en 2022 pour atteindre 200.

Elle a rappelé la définition de l'OMS** de la santé environnementale, qui comprend les différents aspects de la santé humaine, y compris la qualité de la vie (facteurs physiques, chimiques, biologiques, sociaux...), et concerne également la politique et les pratiques de gestion, de résorption, de contrôle et de prévention des facteurs environnementaux susceptibles d'affecter la santé des générations actuelles et futures.

« Lorsque nous prescrivons un médicament, nous induisons un rejet de ce médicament ou de certains métabolites dans l'environnement », a-t-elle rappelé. Quelles sont les conséquences sur la santé des écosystèmes ou la santé humaine ?

Eaux usées contaminées

Focalisant son exposé sur l'exemple des APE, elle fait état d'études montrant la présence de fipronil et de ses dérivés dans les effluents d'eaux usées dépassant les recommandations, par exemple en Californie, en lien avec l'eau de rinçage de chiens traités par spot on et en Angleterre où les dérivés de l'imidaclopride et du fipronil sont retrouvés avec des contaminations de 98,6 % des échantillons en fipronil et 66 % en imidaclopride.

Une fois dans l'eau, les temps de dégradation dans l'environnement varient selon les molécules. Une dégradation dite rapide correspond tout de même à une demie vie de 2 à 3 semaines. C'est le cas par exemple du pyriproxyfène dans l'eau en l'absence de matière organique. En aérobie, elle est de l'ordre de plusieurs mois.

De même, la toxicité de ces molécules a peu fait l'objet d'études. On sait par exemple que l'imidaclopride a un effet négatif sur les vertébrés et invertébrés, en particulier les poissons, du fait de son implication dans les phénomènes de stress oxydatif.

L'utilisation actuelle des isoxazolines (fluranaler, lotinaler...) s'accompagne malheureusement d'absence d'études sur les conséquences de l'exposition humaine et environnementale. « Globalement, l'impact environnemental des APE systémique a été ignoré, en comparaison avec l'impact en médecine rurale des résidus dans les excréments », souligne Floriane Lanord.

La voie majeure d'excrétions de ces molécules est la voie biliaire avec élimination de la molécule mère inchangée dans les fèces (environ 90 % de la dose) pendant au moins 15 jours après ingestion. Or les isoxalazines sont des insecticides puissants, particulièrement toxiques pour les arthropodes et les organismes aquatiques. Leur toxicité pour les abeilles a également été prouvée.

Un document fourni aux professionnels de santé humaine en Suède

« En ayant connaissance de ces données, il pourrait être préconisé de demander aux propriétaires de ramasser les crottes de leur chien pendant les 15 premiers jours », conseille Floriane Lanord.

Beaucoup d'interrogations demeurent : toutes les molécules sont-elles toxiques ? Dans quelles mesures sont-elles rejetées, transformées ? S'accumulent-elles dans les organismes vivants ?...

« Ces données montrent l'importance de nous préoccuper de l'impact environnemental sur les écosystèmes de nos prescriptions », juge notre consoeur, qui précise que la Suède a fourni à ses professionnels de santé humaine un document présentant ces données avec un indice d'écotoxicité (indice PBT pour persistance, bioaccumulation et toxicité) pour orienter les choix des prescriptions médicamenteuses.

« Nous espérons que ce genre de document sera un jour disponible pour notre profession et que les nombreux « manques de données » seront complétés par les laboratoires », commente Floriane Lanord.

L'intervenante incite les confrères à lire attentivement les précautions dans les RCP des APE pour agir au mieux, faute d'informations complémentaires.

Elle rappelle que les propriétaires sont également fortement exposés aux principes actifs et à leurs métabolites. Les enfants et les femmes enceintes sont les populations les plus à risque.

A ce propos, une étude de l'Anses***, baptisée Pesti'home, a caractérisé les sources d'exposition et classé les usagers en trois profils d'utilisateurs de pesticides (voir l'étude à l'adresse https://bit.ly/2oUBDKr).

Absence totale de données sur l'impact carbone

« La délivrance de ces molécules est devenue un acte presque banal. Pourtant, les conséquences sur la santé humaine et l'environnement sont importantes », insiste Floriane Lanord.

En collaboration avec l'Association Santé Environnement France, l'association EcoVéto a produit un guide de bonnes pratiques de l'utilisation des APE qui sera bientôt disponible.

Notre consoeur déplore par ailleurs l'absence de données sur les émissions carbone du secteur de la santé vétérinaire en lien avec les prescriptions.

« A la vue des liens étroits qui unissent les animaux domestiques et leurs propriétaires, des collaborations avec la médecine humaine seraient pertinentes pour construire ensemble des pratiques qui ne mettent en danger aucune des deux populations. Des données d'impact carbone de ces médicaments sont nécessaires afin d'inscrire cette démarche dans une démarche complète One Health », conclut-elle.

Encore plus d'infos !

Le pdf de l'intervention de Floriane Lanord est consultable ci-dessous.

* Afvac : Association française des vétérinaires pour animaux de compagnie.

** OMS : Organisation mondiale de la santé.

*** Anses : Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail.


Article paru dans La Dépêche Vétérinaire n° 1649

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