Enjeux de la profession vétérinaire : polyvalence, robustesse de la formation, esprit critique sont des atouts essentiels
Vie de la profession 53511Quel que soit le mode d'exercice, la profession a su s'adapter et évoluer au fil du temps.
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Alice LAURENS
Prospective
Quels enjeux pour la profession vétérinaire ? Comment former et accompagner les vétérinaires de demain ? C'est dans l'optique de réfléchir collectivement à ces questions que le Pr Jean-Luc Cadoré a rassemblé, le 12 juin, à VetAgro Sup, un panel varié d'intervenants et de figures incontournables du monde vétérinaire. Lors de cette conférence, les discussions étaient articulées autour de trois tableaux : le vétérinaire et les santés partagées, le vétérinaire et l'économie, le vétérinaire et la société.
Le vétérinaire et les santés partagées
Santé animale, humaine, environnementale, publique : par leur polyvalence et leur rigueur scientifique, les vétérinaires occupent une place essentielle au coeur de ces santés partagées et interdépendantes. Alain Mérieux, président des laboratoires Mérieux, a ouvert le débat1 en partageant sa vision d'une seule médecine, sans frontières, où les vétérinaires jouent un rôle fondamental, surtout quand on sait qu'une grande majorité des maladies humaines sont d'origine animale. « [Les vétérinaires sont] appelés à jouer un rôle de plus en plus important dans la santé globale », a souligné l'industriel. Face aux enjeux d'Une seule santé, les vétérinaires doivent nécessairement avoir un rôle croissant dans les domaines de la recherche fondamentale, l'environnement et la nutrition.
Le rôle du vétérinaire dans les santés partagées a été ensuite abordé par un panel d'intervenants aux profils variés (photo n° 1).
Quel que soit le mode d'exercice, la profession a su s'adapter et évoluer au fil du temps. Parmi les évolutions notables évoquées lors des échanges, on retiendra l'amélioration des moyens de diagnostic, un meilleur accès à la formation et à l'information, la rationalisation des techniques d'élevage (notamment en filières industrielles) et une prise de conscience accrue du bien-être animal. Ont été également mentionnés la disponibilité croissante des médicaments, une prise en charge de plus en plus efficace de la douleur et l'accès à des technologies de pointe à l'instar de la médecine humaine notamment en canine.
Cette agilité évolutive devra perdurer car le vétérinaire sera sans aucun doute amené à repenser son rôle, ses pratiques et l'organisation des parcours de soin. Ceci est déjà visible en rurale, où l'affaiblissement du maillage et la baisse des élevages appellent les vétérinaires à bâtir un partenariat renforcé avec les éleveurs, centré sur la prévention, les besoins et la formation. La forfaitisation des services pourrait être un levier pour structurer cette approche préventive et limiter les urgences.
La digitalisation a également bouleversé les pratiques, avec entre autres l'accès massif à l'information (et ses dérives), les objets connectés, l'intelligence artificielle, orientant la médecine vétérinaire vers une approche plus individualisée et prédictive. Dans ce contexte, le vétérinaire doit rester à l'écoute des attentes sociétales, être un bon communicant mais surtout préserver son esprit critique et son sens clinique : l'examen de l'animal reste central.
Un autre exemple du rôle clé des vétérinaires dans les santés partagées est celui des ISPV2, avec leurs missions aussi variées que cruciales en santé publique. Par ailleurs, le rôle essentiel du vétérinaire dans le contexte d'Une seule santé gagnerait à s'appuyer sur des collaborations interprofessionnelles. L'exemple d'une collaboration entre vétérinaires et agronomes a été évoquée comme un levier pertinent pour optimiser certaines pratiques agricoles (alimentation, pâturage, conduite des troupeaux).
Forts de leur expertise et de leur polyvalence, les vétérinaires ont un rôle essentiel à jouer dans les santés partagées - qu'ils seront appelés à assumer de plus en plus face aux enjeux croissants de santé globale.
Le vétérinaire et le monde économique
La profession vétérinaire est une profession d'intérêt public jouant un rôle crucial au sein de la société, notamment en termes de transition agro-écologique. Elle est cependant insuffisamment reconnue et influente parce qu'archipelisée. « Il y a une nécessité patente pour notre communauté autour des sciences vétérinaires de retrouver de l'influence et de la reconnaissance politique et sociétale », a indiqué notre confrère Jean-Yves Gauchot3, ouvrant le deuxième volet des débats sur la thématique du vétérinaire et du monde économique.
Montrant un front uni à l'image de l'unité professionnelle que ce sujet doit susciter, un panel d'intervenants variés (photo n° 2) a évoqué l'importance de la formation initale et continue en management et en communication afin d'armer les vétérinaires des compétences nécessaires pour répondre aux besoins d'une société toujours plus exigeante.
Le vétérinaire n'est pas seulement praticien, il est aussi chef d'entreprise : avoir une bonne compréhension des enjeux économiques afin d'assurer le bon fonctionnement de la clinique est crucial. Face aux évolutions de la société, quel que soit le mode d'exercice, la formation du vétérinaire à l'importance de la relation client et à la façon de gérer une équipe est une priorité. Il est fondamental de mieux former les étudiants vétérinaires au monde de l'entreprise par des cours et des stages.
Le vétérinaire praticien de demain doit impérativement intégrer des compétences de communication et de management de façon indissociable de sa formation initiale. « Le vétérinaire doit rester un omnipraticien (...) et intégrer des compétences de communication, de management, de communication d'équipe, de communication avec les clients, et ce, de manière indissociable de sa formation générale », a rappelé notre confrère Pierre Buisson (past président du Syndicat national des vétérinaires d'exercice libéral - SNVEL).
À propos du sujet incontournable de l'intelligence artificielle (IA) et de son intégration dans la pratique vétérinaire, notre confrère Sébastien Lefèbvre a souligné l'importance de se former à son usage, en appelant à la prudence quant à ses applications concrètes : « L'IA doit être un outil qui nous augmente, pas un outil qui nous remplace. (...) Une IA n'a pas de sens clinique ».
Ainsi, le vétérinaire de demain devra allier expertise médicale, compétences entrepreneuriales et maîtrise des nouveaux outils comme l'IA pour rester au coeur des enjeux sociétaux.
Le vétérinaire et la société
C'est sur les paroles de notre confrère Gérard Larcher1, président du Sénat, que s'est ouvert le troisième volet des débats sur le vétérinaire et la société. Rappelant la richesse de la formation et le rôle fondamental de la profession au sein des santés partagées, ce dernier a évoqué certains changements sociétaux comme l'évolution de la perception des animaux de compagnie ou l'arrivée de l'IA et leur impact sur la profession. Citant le serment de Bourgelat, « Ils prouveront par leur conduite qu'ils sont tous également convaincus que la fortune consiste moins dans le bien que l'on a que dans celui que l'on peut faire », Gérard Larcher invite les vétérinaires à s'investir davantage dans les débats publics, notamment sur le sujet de la souffrance animale, afin de faire rayonner la profession au sein de la société.
Face au phénomène récent de spécialisation et de complexification de la profession, d'aucuns appellent à une sobriété clinique. Le vétérinaire de demain sera toujours et avant tout un praticien avec un sens clinique aiguisé, qui continuera à utiliser mains, oreilles et yeux au profit d'un examen clinique. Le vétérinaire devra accorder une place renforcée à la prévention, intégrer pleinement les enjeux environnementaux dans sa pratique de la médecine (résistance aux antibiotiques, utilisation raisonnée des antiparasitaires) et s'impliquer davantage dans l'anticipation et la gestion des crises sanitaires.
Face aux (r)évolutions de la société, la profession doit afficher un front uni. Le panel d'intervenants (photo n° 3) a souligné l'importance de l'union et de la cohésion au sein de la profession, véritables vecteurs de convivialité et de confraternité. Cette cohésion s'incarne notamment par l'adhésion, voire l'engagement actif au sein d'associations (e.g. Avef, Afvac, SNGTV) ou de syndicats (e.g. SNVEL) afin d'influencer collectivement l'avenir de la profession. C'est par l'engagement et les échanges que la profession évolue et se renforce.
En conclusion de ces échanges, Jean-Luc Cadoré a partagé son opinion sur les enjeux de la profession. Le vétérinaire doit affirmer son rôle dans la santé publique, la recherche, l'agro-écologie et l'épidémiosurveillance tout en restant indépendant et éthiquement engagé.
Sur la nécessaire implication des vétérinaires au coeur de certains sujets de société, Jean-Luc Cadoré invite la profession à la réflexion : « Qui mieux que nous [les vétérinaires] pouvons animer ou nourrir des débats sur l'antibiorésistance, la prise en charge d'épizooties, l'expérimentation animale, la connaissance des maladies infectieuses animales, qui ne sont pas que de possibles maladies émergentes, en vaccinologie ou en thérapie cellulaire ? Comment pourrait-on, enfin, imaginer que des décisions puissent être prises dans nos différentes filières, et pour la France rurale, sans l'avis de vétérinaires ? ».
Il est essentiel de mieux faire connaître notre profession, renforcer l'accueil et la formation des étudiants et repenser les parcours de soins. La création d'une Haute autorité de santé animale pourrait structurer cette évolution.
La polyvalence, la robustesse de la formation, l'esprit critique sont des atouts essentiels faisant du vétérinaire un acteur incontournable de la santé globale de demain. ■
Encore plus d'infos !
La conférence est accessible en rediffusion ici.
1 Discours retransmis par vidéo.
2 ISPV : inspecteurs de la santé publique vétérinaire.
3 Intervention à distance via vidéoconférence.
4 AEEEV : Association européenne en charge de l'assurance qualité dans l'enseignement vétérinaire.