Élevage extensif à l'herbe : des atouts sous-estimés

© David Quint

Claude AUBERT

L'élevage extensif à l'herbe est une alternative à l'intensification de l'élevage laitier. Il permet une production de lait et de viande proche de la neutralité carbone, qui améliore la biodiversité des prairies et assure leur entretien. Enfin, il améliore la valeur nutritive de ces produits.

Produire du lait zéro carbone ?

Ayant dit dans une tribune parue dans Le Monde qu'il est possible de compenser la totalité des émissions de gaz à effet de serre de l'élevage bovin par la séquestration de carbone dans les prairies, il m'a été objecté que toutes les études montrent que cette compensation ne peut être que partielle et comprise entre 20 et 40 % des émissions. J'ai donc cherché à comprendre d'où venait l'erreur et qui avait raison.

En fait, comme souvent, tout le monde a raison ! Cela dépend de quoi on parle et comment on calcule. Effectivement, si on utilise la méthodologie mise au point par Idele (CAP'2ER) pour mesurer l'impact écologique des élevages de bovins, on constate que même en bio et en montagne, on compense difficilement plus de 40 % des émissions par la séquestration de carbone. Il y a deux explications à ce constat. D'une part, les éleveurs à l'herbe n'utilisent pas, souvent volontairement, tous les moyens qui leur permettraient d'arriver au zéro carbone ou de s'en approcher. D'autre part, il s'avère qu'avec un chargement faible (0,6 à 0,8 UGB/ha) on séquestre davantage de carbone qu'avec un chargement plus élevé. Mais diminuer le chargement, c'est produire moins, un choix auquel de nombreux éleveurs ne sont pas prêts, même si produire moins ne signifie pas toujours, loin s'en faut, avoir moins de revenus (cf. tableau 1).

Par ailleurs, la méthodologie de l'Idèle surestime les émissions de N2O des systèmes peu intensifs. Elle utilise en effet le même facteur d'émission, soit 1 % de l'apport d'azote, que ce dernier soit d'origine organique ou minérale. Or en 2019, le GIEC a opté pour des facteurs d'émissions différents : 0,6 % pour l'azote organique et 1,6 % pour l'azote minéral. Donc l'impact effet de serre des exploitations apportant uniquement ou principalement de l'azote organique (ce qui est le cas de nombreuses petites et moyennes exploitations à l'herbe) est plus faible que celui retenu par Idele. Cependant, ce qui défavorise le plus le bilan carbone des exploitations à l'herbe, c'est le choix d'un chiffre moyen de séquestration de carbone par les prairies permanentes de 570 kg C/ha/an.

Or, notamment suite aux programmes européens GreenGrass et Carbo-Europe, cette séquestration est estimée entre 500 et 1200 kg C/ha/an et selon une publication (Gac, 2010) qui s'y réfère et à laquelle ont participé dix chercheurs, « les niveaux de stockage net de carbone se situent en moyenne autour de 1000 kg C/ha/an ».

D'autres chercheurs (Klumpp, 2018) proposent, sur la base de la littérature scientifique, le chiffre de 790 kg. Si l'on y ajoute la séquestration par les haies (environ 100 kg/ha pour des parcelles de dimensions moyennes), le chiffre de 800 kg C/ha/an pour la séquestration de carbone nous semble une estimation raisonnable en gestion extensive.

Dans mon livre 1, je présente une exploitation d'élevage laitier à l'herbe pour laquelle le bilan carbone est de 0,13 kg équivalent CO2 par litre de lait, soit 8 fois moins que la moyenne française, ce qui reste cependant légèrement supérieur à la neutralité carbone. Si l'on applique le facteur d'émission de N2O et le niveau de séquestration de carbone cités plus haut, on arrive à la neutralité carbone.

Arriver à la neutralité carbone est donc possible, mais cela suppose aussi que l'éleveur gère ses prairies de manière optimale en agissant sur le chargement, sur le temps de séjour sur une parcelle donnée et sur la flore de la prairie, en privilégient le pâturage et en choisissant bien les espèces semées et leur nombre, en cas de renouvellement de la prairie ou de sur semis.

Une étude américaine de longue durée (24 ans) illustre l'impact du nombre d'espèces semées sur la séquestration de carbone. Il y a davantage de carbone séquestré sur une profondeur de 60 cm avec des prairies plus diversifiées (cf. tableau 2).

Une autre étude (Savian, 2018) conclut que les émissions de méthane par hectare par des ruminants pâturant varient fortement, jusqu'à une division par deux, selon la hauteur de l'herbe lorsqu'elles sont mises au pâturage. Cette expérimentation a été réalisée en 2014 et 2015 avec des moutons. Elle est arrivée à la conclusion que si ces derniers sont mis à l'herbe lorsqu'elle a une hauteur moyenne de 18 cm et en sont retirés lorsqu'elle a 11 cm (ce qui suppose un séjour très bref), l'herbe est consommée au stade optimal, ce qui augmente fortement la quantité d'herbe ingérée et diminue les émissions de méthane par rapport à une méthode courante qui consiste à mettre les moutons à l'herbe lorsqu'elle a 25 cm et à les retirer lorsqu'elle a 5 cm. Les émissions de méthane par hectare sont en effet diminuées de 64 % et celles par kilogramme produit de 170 %, en raison de la plus forte consommation d'herbe, plus appétente et plus nourrissante. Des résultats proches (réduction des émissions de 55 %) ont été obtenus dans une autre étude (Zubieta, 2021), à condition d'accepter de limiter le gain de poids journalier des animaux. Il ne faudrait pas généraliser ces résultats, mais ils montrent que l'on peut fortement agir sur la quantité de méthane émise par vache.

Associer l'herbe et les arbres

L'association des arbres et des arbustes avec l'herbe est une ancienne tradition, que l'on retrouve dans le bocage, les prés vergers ou le sylvopastoralisme. Elle présente de nombreux avantages : augmentation de la séquestration du carbone, possibilité pour les animaux de s'abriter du soleil, fourniture d'un aliment complémentaire avec les feuilles des arbres et arbustes dans certains systèmes, source de revenus complémentaires pour les éleveurs avec les arbres, comme en agroforesterie.

L'association de l'herbe et des chênes est traditionnelle dans certaines régions d'Espagne, sous le nom de dehesa, et du Portugal, sous le nom de montado. Il s'agit de prairies dans lesquelles des chênes sont plantés à très grand écartement. 0n ne peut pas à proprement parler de sylvopastoralisme, mais plutôt de prairies arborées. Ce sont des paysages magnifiques qui permettent une utilisation optimale de l'espace, les chênes fournissant aux animaux de l'ombre et aux Hommes la production de bois et/ou de liège car il s'agit souvent de chênes-lièges. Plusieurs études (Teixeira, 2010 ; Reyes-Palomo, 2022) ont par ailleurs montré que, avec ce système, lorsqu'on améliore la flore en semant des mélanges d'espèces variées, le sol séquestre assez de carbone pour compenser les émissions de gaz à effet de serre de l'élevage.

L'une des études citées (Reye-Palomo, 2022) conclut qu'en production biologique 95 % des émissions de gaz à effet de serre sont compensées, et même, la totalité dans certains cas.

Impact du mode d'alimentation des bovins sur leurs produits

Le mode d'alimentation des animaux d'élevage a un impact limité sur la teneur totale de la viande et des produits laitiers en leur principaux constituants - protéines, matières grasses, lactose - mais impacte fortement le taux de constituants bénéfiques, comme les acides gras oméga 3.

La qualité du lait est nettement impactée par les modes de production (cf. tableau 3).

On constate les mêmes changements avec la viande de boeuf qu'avec le lait, conduisant à un impact positif sur la teneur en oméga 3 non seulement de la viande mais aussi du plasma sanguin des consommateurs et à une remise en cause des impacts négatifs de cette viande sur la santé (cf. tableaux 4, 5 et 6).



 

Bien entendu les chiffres, en matière d'impact du mode d'alimentation des vaches sur les constituants bénéfiques dans leurs produits, varient selon les études, mais les tendances restent toujours les mêmes : mieux en bio qu'en conventionnel et, encore mieux en extensif avec un maximum d'herbe (majoritairement pâturée) et un minimum de concentrés.

En 2015, le CIRC (Centre International de Recherche sur le Cancer) a classé la viande rouge cancérogène probable. Les scientifiques pensent avoir trouvé une explication : le fer héminique, présent dans la viande rouge, favorise la peroxydation des lipides, oxydation des lipides insaturés responsable de dommages tissulaires dus à la formation de radicaux libres, ce qui peut favoriser l'apparition de cancers, principalement du côlon. Cependant cette peroxydation est bloquée par la présence de calcium et d'antioxydants. Or des études (Mercier, 2004 ; Gatelier 2005) ont montré que la viande des animaux nourris à l'herbe contient davantage d'antioxydants et parfois moins de fer héminique que celle d'animaux nourris avec des céréales. Donc, avec ce mode l'alimentation, le lien entre fer héminique et cancer du côlon n'est plus établi.

Un autre critère est l'impact de la consommation de viande rouge sur la mortalité, toutes causes confondues. Une importante méta-analyse (Schwingshackl, 2009) conclut que la mortalité des consommateurs réguliers de viande rouge est de 10 % supérieure à celle des consommateurs occasionnels. Mais en regardant en détail les résultats des études retenues dans cette méta-analyse, cette augmentation n'est constatée que pour ceux qui consomment plus de 100 g de viande rouge, soit environ un bifteck, par jour, ce qui dépasse très largement les recommandations nutritionnelles et la consommation française. C'est donc l'excès de viande rouge qui est en cause, d'autant que ces études n'ont pas pris en compte le mode d'alimentation des animaux. Sur les treize études retenues par l'auteur, trois ont été réalisées en Europe et cinq aux Etats-Unis. Pour une augmentation moyenne de la consommation de viande rouge de 100 g par jour, ce qui est considérable, les études européennes concluent à une augmentation de la mortalité de 5 % alors que les études américaines concluent à une augmentation de 28 %. Une explication est que l'alimentation des bovins est très différente : en Europe, surtout en élevage allaitant, elle fait une large place à l'herbe, alors qu'aux Etats-Unis, avec des élevages majoritairement en feedlots, elle est essentiellement à base de céréales et de tourteaux.

On peut donc en conclure que rien ne permet d'affirmer qu'une consommation modérée de viande bovine, surtout lorsqu'elle provient d'élevages à l'herbe, ait un impact négatif sur la santé. Un constat qu'il ne faudrait pas interpréter comme un encouragement à manger davantage de viande de boeuf, sachant que, pour des raisons écologiques et sanitaires, il faut diminuer notre consommation de protéines animales au profit des protéines végétales 

Vers une meilleure valorisation du lait et de la viande à l'herbe

Trouver du lait et de la viande de vaches nourries à l'herbe n'est pas chose facile. Le lait et la viande bio sont une solution, mais la part d'herbe dans l'alimentation des vaches bio n'est pas toujours très élevée, surtout en élevage laitier. Plusieurs marques privées, encore très confidentielles, proposent du lait garantissant un minimum de 75 % d'herbe dans la ration : « lait de foin » et « pâture & papilles ». La seconde, ainsi que notamment la marque « Boeuf d'herbe » propose également de la viande à l'herbe. On trouve du « lait de foin » dans certains magasins bio (notamment Biocoop), et des fromages au « lait de foin » dans de petites fromageries artisanales. Les fromages bénéficiant d'une AOP sont faits avec du lait de vaches ayant dans leur alimentation une part d'herbe, très variable selon les appellations (Aubert, 2022).

Les organisations professionnelles devraient faire pression sur les pouvoirs publics pour qu'ils créent et promeuvent un label national garantissant une proportion élevée d'herbe, majoritairement pâturée, dans l'alimentation des vaches, des chèvres et des moutons.

Conclusion

L'élevage extensif à l'herbe est donc une solution d'avenir, sa limite étant de ne pas permettre des productions de lait par vache très élevées, ce qui ne veut pas dire des élevages moins rentables, car les coûts de production sont considérablement plus faibles qu'en production intensive classique.

Il reste que le cheptel bovin sur la planète est beaucoup trop élevé. En Europe, il diminue régulièrement depuis une dizaine années, en raison de l'augmentation de la production par vache et de la baisse de consommation de viande, mais il est encore trop élevé.

Dans d'autres partie du monde il continue à augmenter, et les modes de production permettant de compenser au moins en partie les émissions de méthane sont loin d'être généralisés.

 

Article paru dans La Dépêche Technique n° 201

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