Édito : Testis unus, testis nullus
Mercredi 6 Juin 2018 Vie de la profession 30059© Kastet
Conserver la bonne distance entre soignant et soigné est une question largement débattue en médecine humaine. Les études publiées fournissent des résultats parfois contradictoires sur la corrélation entre la qualité des soins et l'empathie existante entre celui qui prodigue et celui qui reçoit.
La déontologie veut que le soignant confie à d'autres l'examen de ses proches et une récente pétition en cours voudrait interdire toute relation sexuelle entre médecin et patient.
Conserver en toute occasion une approche scientifique n'est pas chose aisée dans le domaine médical. La médecine par les preuves est régulièrement concurrencée par un empirisme fondé sur l'expérience individuelle. Cette contradiction permet à chacun soit d'affirmer l'efficacité d'un traitement sans comparaison à des témoins, soit d'attribuer à tel ou tel médicament ou telle technique des effets secondaires, sans se préoccuper de la valeur statistique de ses propres observations.
En clair, chacun abuse de " ça marche ou ça ne marche pas " pour affirmer ses convictions médicales. Interrogé sur l'efficacité d'un traitement, mon pharmacien m'avait répondu " on en vend beaucoup ". C'est une autre forme de preuve... que l'on retrouve dans le célèbre dogme économique : " Le marché a toujours raison ".
La multiplication des systèmes d'évaluation, que ce soit des restaurants, des expériences d'achat en magasin, ou des toilettes d'aéroport, transforme chacun de nous en producteur d'avis définitifs sur la qualité ou l'efficacité de tel service mais aussi souvent des individus.
La production d'avis négatifs, l'incitation au harcèlement en sont les effets secondaires négatifs et vécus d'autant plus douloureusement qu'ils s'attaquent à l'humain.
La lecture attentive de ces avis permet de prendre la mesure du nombrilisme qui domine et motive ces démarches de notation.
Pour ce qui est de la valeur de ce système de notation, Pierre Desproges nous avait pourtant prévenus : testis unus, testis nullus.
Loin d'affirmer que les monorchides sont des imbéciles, les romains considéraient déjà que le témoignage d'un seul est sans valeur.
Seule la moyenne des avis d'un échantillon statistiquement bien fondé présente un intérêt scientifique pour balancer entre les faits et l'expérience individuelle qui nourrit plutôt les croyances. P.B.