Dermatite atopique canine : intégrer la complexité des traitements pour adapter sa prescription

La compliance est un aspect majeur des échecs de traitement au long cours lors de dermatite atopique canine.

© Emmanuel Bensignor

Emmanuel BENSIGNOR

Spécialiste en dermatologie

Professeur associé de dermatologie-Oniris

Consultations référées de dermatologie et allergologie à Rennes-Cesson, Paris et Nantes

Dermatologie

La dermatite atopique canine affecte la qualité de vie de l'animal et de son propriétaire. La complexité du traitement explique en partie cet impact négatif. Sa réussite passe par la prise en compte de cet aspect.

La dermatite atopique canine (DAC) est une maladie fréquente, dont l'incidence (à l'instar des maladies allergiques de l'Homme) est en augmentation constante depuis plusieurs années.

Il s'agit d'une maladie multifactorielle, pour laquelle interviennent à la fois des anomalies génétiques de la barrière cutanée, des sensibilisations allergiques, une dérégulation du système immunitaire lymphocytaire et une propension à la dysbiose. Son traitement est donc multimodal, faisant appel idéalement à des mesures de correction de la sécheresse cutanée, à des molécules antiallergiques, aux antiprurigineux et à un bilan allergologique complet pour mise en place d'une immunothérapie spécifique.

L'approche thérapeutique de cette dermatose, comme pour toute maladie chronique, nécessite de prendre en compte de multiples facteurs individuels liés aux signes cliniques (gravité, extension des lésions) mais aussi à l'animal (type de pelage, facilité de réaliser les soins, prise facile de comprimés sur le long cours...) et au propriétaire (caractère, possibilités financières, implication, motivation...).

Qualité de vie altérée

Dans ce contexte, l'approche du soignant doit idéalement passer par une estimation de données liées à la qualité de vie qui est altérée dans la DAC (tant pour le propriétaire que pour le chien) et plus significativement en cas de lésions graves qu'en cas de DAC non compliquée1,2.

La qualité de vie peut être appréciée facilement en prenant le temps de poser des questions simples au propriétaire (lire ci-après). Il semblerait que le portrait-robot du maître prêt à dépenser/s'investir beaucoup pour son chien soit une femme, jeune, d'un haut niveau d'éducation 1,2 . La qualité de vie s'améliore suite au(x) traitement(s) et à la diminution de l'intensité des signes cliniques.

Plusieurs études ont par ailleurs montré que le fardeau thérapeutique était très important pour les propriétaires de chiens souffrant de DAC3,4. Il est fondamental de savoir prendre en compte le chien et sa maladie mais également le bien-être du propriétaire. Cela passe par la nécessaire évaluation de ses possibilités financières mais aussi de son implication dans la gestion de la maladie. Stress, anxiété, perte de confiance sont des paramètres souvent négligés par le vétérinaire prescripteur.

Jeu des 7 erreurs

Par ailleurs, il a été démontré que ce fardeau du soignant était significativement lié à la complexité du traitement et à la gravité de la maladie4 : la mise en place, au moins initialement, d'un plan thérapeutique simple, rapidement efficace, devrait être envisagée avant d'avoir recours à des solutions plus compliquées ou nécessitant des frais importants, au moins chez les propriétaires les plus sceptiques ou ceux qui sont moins convaincus de la nécessité d'une approche multimodale.

En résumé, on pourrait reprendre utilement ici les données du « jeu des 7 erreurs à ne pas faire pour réussir un traitement au long cours » rapportées dans l'article de Lowell Ackerman qui s'intéresse aux traitements au long cours en dermatologie5 :

1. ne pas apprécier le bon moment : il est important de ne pas décider à la place du propriétaire et il faut une discussion circonstanciée afin de choisir le calendrier thérapeutique optimal (par exemple ne pas lancer d'investigations allergologiques complexes si le propriétaire n'est pas capable de mettre en place une immunothérapie nécessitant des injections répétées dans les semaines/mois qui suivent) ;

2. ne pas tenir compte des attentes du propriétaire : si l'approche multimodale évoquée plus haut reste l'option idéale, certains propriétaires souhaitent seulement se contenter d'un traitement symptomatique récurrent ; il faudra alors leur expliquer le rapport bénéfice/risque/coût des options disponibles et ne pas les culpabiliser ;

3. ne pas apprécier la qualité de vie : il est fondamental de se mettre à la place du propriétaire et d'évaluer avec lui les options qui sont envisageables sans trop d'impact sur le milieu familial afin d'éviter le fardeau du soignant développé supra ;

4. ne pas suivre la médecine factuelle : face à une maladie chronique, il est important de pouvoir s'appuyer sur des données scientifiques pour recommander telle ou telle approche thérapeutique afin d'éviter le nomadisme médical (la DAC est une des principales raisons du passage aux médecines alternatives, voire au charlatanisme) ;

5. sous-estimer l'importance de la compliance : étonnamment peu étudiée en médecine vétérinaire, c'est pourtant un aspect majeur des échecs de traitement au long cours ; nous avons pu montrer dans une étude récente que pour les soins topiques de la DAC, s'il n'existe pas un système associé de rappel (texto, courriel, téléphone), moins d'un propriétaire sur trois suivait la prescription à 3 mois et a fortiori à 6 mois6... ;

6. ne pas avoir de politique adaptée en termes de prix : il est important de savoir faire les recommandations ad hoc en prenant en compte le coût des médicaments mais en restant ferme dans sa prescription (la plupart des propriétaires veulent ce qui est le plus indiqué pour leur chien et ne souhaitent pas avoir à choisir parmi une liste de médicaments) ;

7. considérer les cas de dermatologie comme une nuisance : comme pour beaucoup de maladies chroniques, la répétition des consultations, les rechutes, les poussées, parfois les reproches des propriétaires, peuvent être mal vécus par le vétérinaire ; au contraire, il faut de l'empathie et des solutions parfois simples (suivis téléphoniques, courriels, plans de suivi) peuvent être mises en place facilement au quotidien.

1 Noli C et al. Quality of life of dogs with skin diseases and their owners. Part 1: development and validation of a questionnaire. Vet Dermatol 2011; 22: 335-343.

2 Noli C et al. Quality of life of dogs with skin diseases and of their owners. Part 2: administration of a questionnaire various skin diseases and correlation to efficacy of therapy. Vet Dermatol 2011; 22: 344-351.

3 Spitznagel MB et al. Caregiver burden in the veterinary dermatology client: comparison to healthy controls and relationship to quality of life. Vet Dermatol 2019; 30: 3-e2.

4 Spitznagel MB et al. Treatment complexity and caregiver burden are linked in owners of dogs with allergic/atopic dermatitis. Vet Dermatol 2021; 32; 192-e50.

5 Ackerman L Seven common mistakes to avoid in achieving long-term success with dermatology patients. Veterinary Medicine and Science 2015; 1: 2-8.

6 Bensignor E et al., Long term adherence to topical treatments in canine atopic dermatitis: a randomized intervention study. Vet Dermatol 2020; 31 (suppl1): 6-109.

Gros Plan : Exemples d'items d'évaluation de la qualité de vie (d'après Noli et al.*)

Propriétaire :

- perte de temps ;

- épuisement ;

- activités familiales impactées ;

- dépenses ;

- détresse émotionnelle ;

- malaise physique ;

- relations familiales.

Chien :

- gravité de la maladie ;

- sommeil ;

- comportement ;

- jeu ;

- modifications d'habitudes. E.B.

* Noli C et al. Quality of life of dogs with skin diseases and their owners. Part 1: development and validation of a questionnaire. Vet Dermatol 2011; 22: 335-343.

Article paru dans La Dépêche Vétérinaire n° 1664

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