De la traçabilité à l'épidémiosurveillance : une évolution attendue pour les animaux de compagnie

La collecte des données pourrait se faire via des vétérinaires sentinelles, comme il en existe pour le Respe, sans négliger les vétérinaires qui interviennent en collectivité, les éleveurs, les vétérinaires de laboratoires...

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Maud LAFON

Colloque

Si la France peut s'enorgueillir de posséder un système de traçabilité des carnivores domestiques efficace et envié par d'autres pays d'Europe, elle est en retard en ce qui concerne l'épidémiosurveillance appliquée à ces animaux et ne possède pas encore de plate-forme dédiée. Réfléchir à l'évolution qui permettra de se servir de l'un pour alimenter l'autre a fait l'objet d'un colloque organisé par Ingenium animalis, le 27 octobre, à Paris, au Sénat.

Faire évoluer la traçabilité des animaux de compagnie vers un outil d'épidémiosurveillance à l'instar de ceux qui existent pour la faune sauvage et les animaux de rente (plate-forme ESA1) ou les équidés (Respe2), en s'inspirant d'approches européennes validées et en s'appuyant sur les outils existants, a fait l'objet d'une séance de réflexion, le 27 octobre, au Palais du Luxembourg, à Paris. 80 personnes ont assisté à ce colloque organisé par Ingenium animalis, détenteur du fichier I-Cad, sous le parrainage de notre confrère sénateur Arnaud Bazin.

Les acteurs pressentis ont pu croiser leurs visions et exprimer leurs attentes quant à ce défi de santé publique qui répond concrètement aux objectifs du concept One Health.

« Le brassage mondial des animaux de compagnie pèse sur le risque sanitaire et il convient de nous organiser pour le contrer », a confirmé Arnaud Bazin.

Données sanitaires dans I-Cad

La profession vétérinaire est déjà habilitée à alimenter des données de surveillance épidémiologique via le fichier I-Cad et ce rôle va se renforcer avec l'implémentation de données sanitaires liées au risque rabique instaurée dans le cadre du renouvellement de la délégation de service public accordée à Ingenium animalis cette année pour 10 ans, comme l'a confirmé notre consoeur Karen Bucher, sous-directrice santé et protection animales à la Direction générale de l'alimentation (DGAL).

Cette évolution s'inscrit dans le cadre de la loi de santé animale (LSA), « la traçabilité étant le socle de la politique publique pour répondre aux enjeux de santé publique comme la rage et de bien-être animal, comme la lutte contre la maltraitance » .

La délégation renouvelée en juillet va également s'enrichir de nouvelles fonctionnalités qui découlent de la LSA et notamment la mise en place d'une base nationale des opérateurs (éleveurs, refuges, fourrières...) qui va contribuer à organiser le système sanitaire français.

Problème européen

La représentante de la DGAL a rappelé que tous les pays européens ne possédaient pas un dispositif aussi centralisé que le nôtre, ce qu'a confirmé l'eurodéputé lituanien Petras Austrevicius, vice-président de l'intergroupe Bien-être et protection des animaux, qui a souligné « un problème européen en matière de traçabilité des animaux domestiques » regrettant notamment l'absence de base de données centralisée. Il a rappelé que l'Europe hébergeait 104 millions de chiens et 127 millions de chats.

Par ailleurs, harmoniser les exigences pour l'identification et l'enregistrement entre les pays lui semble crucial. « Les objectifs européens en santé animale pourraient être atteints par une traçabilité efficace » , a-t-il indiqué. Un objectif de l'intergroupe qu'il co-préside est de rendre l'identification des carnivores domestiques obligatoire à l'échelle de l'Europe, en s'appuyant pour cela sur la digitalisation.

Revoir le passeport

« Il est essentiel de redonner une perspective européenne à la traçabilité » , a poursuivi notre confrère Pierre Buisson, président d'Ingenium animalis et organisateur du colloque, en appelant à revoir notamment le passeport européen, un document dont « la fiabilité est légère » .

La traçabilité en termes d'épidémiologie a déjà démontré son intérêt, notamment lors de l'épizootie de cas de mégaoesophages survenus en Lettonie, dont l'origine toxique a pu être déterminée grâce à l'interconnexion entre les vétérinaires.

La mise en place d'une plate-forme d'épidémiosurveillance dédiée aux animaux de compagnie en France pourra s'inspirer de deux exemples européens réussis : les systèmes Savsnet et le système Pyramidion (lire ci-après).

Une opération similaire a été initiée par l'Afvac3, avec la Centrale canine, en 2019 : le réseau Respac.

Attente sociétale

Son état de réflexion a été présenté par notre confrère Eric Guaguère, vice-président de l'Afvac. Il a rappelé l'importance d'un tel réseau d'épidémiosurveillance dédié aux animaux de compagnie à l'heure où la promiscuité entre ces animaux et l'Homme est croissante et où le public est de plus en plus sensibilisé au bien-être animal et à ses déviances, le contexte Covid ayant renforcé ce constat.

« La construction d'un tel réseau ne peut s'envisager que de façon collégiale avec tous les acteurs de la filière animaux de compagnie et les forces politiques » , a-t-il constaté.

La collecte des données pourrait se faire via des vétérinaires sentinelles, comme il en existe pour le Respe, sans négliger les vétérinaires qui interviennent en collectivité, les éleveurs, les vétérinaires de laboratoires... Une piste de réflexion concerne le recours à la plate-forme Calypso qui permettrait de réduire les coûts.

« Il faudra faire preuve de beaucoup de pédagogie auprès des vétérinaires pour qu'ils utilisent la future plate-forme et l'alimentent », a insisté Eric Guaguère. Les exemples de la pharmacovigilance ou de l'épidémiosurveillance équine prouvent cependant que cette adhésion est facile à obtenir dès lors que les vétérinaires peuvent espérer un retour d'information.

Freins juridiques

Une problématique spécifique à notre pays et qu'il faudra surmonter est d'ordre juridique et concerne l'utilisation, la transmission et l'enregistrement des données qu'il faudra sécuriser mais aussi le secret professionnel qu'il faudra lever « pour tout ou partie de certaines données qui méritent un intérêt général », a proposé notre confrère Christophe Hugnet, membre du Conseil national de l'Ordre des vétérinaires (Cnov).

Le financement du réseau, tant dans sa mise en place que dans son fonctionnement, reste également à éclaircir, la DGAL interrogée sur ce point ne s'étant pas positionnée.

Une table ronde à laquelle ont participé un panel d'acteurs pressentis du futur réseau d'épidémiosurveillance (Centrale canine, Loof, écoles nationales vétérinaires, Cnov, Afvac, SNVEL 4 ) a confirmé leur intérêt pour ce projet transversal.  « Pour les écoles vétérinaires, il répondra au double objectif d'enseignement et de recherche » , a confirmé notre consoeur Marie-Christine Cadiergues, responsable du pôle recherche clinique à l'école vétérinaire de Toulouse, en expliquant que l'intelligence artificielle sera très facilitatrice de ce projet.

Se servir des données collectées

« Il ne faut pas pour autant aboutir à un système qui fourmillera de données qui seront ensuite bloquées dans leur utilisation pour des raisons juridiques. Il faut d'abord identifier les freins possibles et les lever » , a-t-elle insisté.

Une question à trancher sera aussi celle des espèces animales intégrées à ce futur réseau de surveillance.

Arnaud Bazin a précisé que « la réglementation et la législation n'avaient pas pris la mesure du risque sanitaire qui se joue avec les animaux de compagnie non domestiques », l'arrêté qui doit fixer la liste de ceux autorisés dans notre pays étant en attente depuis deux ans et la commission nationale consultative pour la faune sauvage captive constituée pour l'établir ne comportant par ailleurs aucun vétérinaire.

De nombreux animaux sont par ailleurs détenus comme animaux de compagnie et non soumis à une obligation d'identification, comme les lapins, les octodons ou la poule (3 millions de ces gallinacés sont présents dans les foyers en tant qu'animal de compagnie sur un cheptel total de 12 millions). Or ils peuvent eux aussi être vecteurs de risques sanitaires potentiels.

Rôle des vétérinaires

« La profession vétérinaire est une interface incontournable et doit s'emparer de cette problématique », a poursuivi le sénateur.

Un avantage à disposition des vétérinaires dans le cadre d'un tel réseau est l'absence de représentativité organisée des détenteurs d'animaux de compagnie. « Les vétérinaires seront donc plus facilement en mesure d'obtenir le consentement des détenteurs de par la relation singulière qu'ils entretiennent avec eux » , a estimé Pierre Buisson.

Notre confrère Jean-Luc Angot, président honoraire de l'Académie vétérinaire de France et envoyé spécial Prezode 5 , a opéré une distinction entre les animaux de compagnie traditionnels et non traditionnels. « On ne peut concevoir l' One Health que si on prend en considération l'intégralité des animaux sauvages et domestiques » , a-t-il insisté.

En tant que membre du CGAAER 6 , il a annoncé un rapport attendu sur l'importance de la mise en place des dispositifs de surveillance. « Sa publication sera une étape importante dans la poursuite du réseau. L'accomplissement du projet sera long mais les exemples étrangers prouvent sa faisabi lité » , a conclu Pierre Buisson.

Encore plus d'infos !

Rediffusion du colloque disponible pendant un mois en ligne

1 ESA : Epidémiologie en santé animale.

2 Respe : Réseau d'épidémiosurveillance en pathologie équine.

3 Afvac : Association française des vétérinaires pour animaux de compagnie.

4 SNVEL : Syndicat national des vétérinaires d'exercice libéral.

5 Prezode : Preventing ZOonotic Disease Emergence (initiative internationale visant à prévenir l'émergence des zoonoses).

6 CGAAER : Conseil général de l'alimentation, de l'agriculture et des espaces ruraux.

Gros Plan : Savsnet et Pyramidion : deux réussites européennes aux modalités distinctes

Présentés à l'occasion du colloque organisé par Ingenium animalis, le 27 octobre, les systèmes Savsnet et Pyramidion sont deux réseaux d'épidémiosurveillance, respectivement britannique et norvégien, dont la philosophie est différente, le premier faisant appel à l'intelligence artificielle et étant davantage orienté sur la recherche et le second, basé sur la codification et axé sur la santé publique, mais dont les réussites sont équivalentes.

Présenté par le Pr Alan Radford, de l'université de Liverpool, le système Savsnet a été lancé en 2008. Il collecte aujourd'hui 10 000 données par jour émanant des vétérinaires praticiens et des laboratoires d'analyse (60 % des données des laboratoires britanniques parviennent au réseau) et elles sont utilisées dans le cadre de travaux de recherche sur l'antibiorésistance, la répartition géographique d'agents pathogènes, etc.

Constitution d'une biobanque

Savsnet récupère aussi des échantillons d'importance pour constituer une biobanque et effectuer des tests d'analyse phénotypique et génotypique.

Les données provenant des vétérinaires praticiens sont utilisées à des fins épidémiologiques, de suivi de prescription d'antibiotiques, etc. Les données parviennent sous forme de texte libre et sont traitées par intelligence artificielle.

Le réseau Pyramidion, propriété de DyrelD, qui est aussi l'administrateur d'Europetnet, opère différemment comme l'a expliqué le président de DyrelD, notre confrère Oyvind Fylling-Jensen. Il a enregistré 7,3 millions de diagnostics depuis son déploiement en 2018, collectant tous les diagnostics de toutes les cliniques en Norvège.

En 2023, il a été lancé au Danemark. Il offre notamment la possibilité aux vétérinaires de comparer leur activité à celles des autres cliniques (plus de 1 000 cliniques participent au réseau en Norvège et au Danemark). Les données sont transférées automatiquement au réseau par les logiciels vétérinaires. M.L.

Article paru dans La Dépêche Vétérinaire n° 1684

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