D'où vient cette peur de l'erreur médicale ?
Entreprise 52540La peur de l'erreur est maximale chez les jeunes diplômé(e)s durant la courbe de l'apprentissage.
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Pierre MATHEVET
Société Tirsev
Management
Fréquente chez les vétérinaires, la peur de l'erreur médicale est une cause majeure de stress dans la profession et aussi une source de fatigue, d'abandon du métier, voire de burn out. Un travail sur soi est possible pour restaurer sa confiance et diminuer cette peur.
De très nombreux jeunes vétérinaires ou ASV disent souffrir de peur de l'erreur médicale qui les paralyse ou cause un grand stress. Elle n'est pas l'apanage des jeunes générations. Des personnes avec une certaine expérience déclarent la ressentir également régulièrement.
En effet, la peur de l'erreur médicale est, dans l'étude du Pr Truchot en 2022, citée comme la seconde cause de stress par ordre d'importance chez les vétérinaires interrogés. Elle est également exprimée régulièrement par les ASV comme une source importante de stress, même si elle est agrégée dans la fatigue émotionnelle. Cette dernière apparaît comme la troisième cause de stress chez les ASV (thèse Aurore Bertrand, 2014).
Dans tous les cas, la peur de l'erreur est une source de fatigue significative, un risque d'abandon de ces métiers ou de burn out. Comprendre les mécanismes de la peur de l'erreur et les moyens de la minimiser, de la calmer est donc un sujet essentiel dans l'amélioration de la qualité de vie au travail.
Pourquoi la peur de l'erreur
La peur est une émotion positive. Jusqu'à un certain niveau, elle a un impact positif. Physiologiquement, la sécrétion de neuromédiateurs et d'hormones permet de préparer notre organisme à la fuite par rapport à un danger. Elle est donc essentielle à notre survie. Elle pousse ainsi à ne pas tenter certaines choses dont on imagine que le résultat pourrait être négatif pour soi, les animaux ou les clients car la peur est dans 90 % des cas une anticipation personnelle de notre cerveau devant une situation, en présupposant ses potentielles conséquences négatives.
Nos peurs naissent dans notre conscience des événements contraires qui pourraient survenir à cause de nous. Elles se basent sur nos croyances personnelles. Elles sont donc toujours légitimes pour un individu donné, même si l'entourage ne ressent pas cette émotion ou pas du tout au même niveau. Sans la peur, nos ancêtres n'auraient pas survécu et nous ne serions pas là à disserter.
La confiance est l'antidote de la peur, qu'elle soit la confiance en soi, la confiance dans les autres ou dans l'environnement proche. L'action naît de l'équilibre entre la peur et la confiance, l'espace entre ces deux composantes étant le doute. Si la peur prend le dessus, le résultat est l'immobilité, le fait de ne pas oser. Si la confiance est supérieure à la peur, nous appelons cela le courage. Celui-ci ne signifie pas l'absence totale de peurs, ce qui serait l'hubris, l'arrogance, l'inconscience des risques et des dangers.
Donc le doute est normal et salvateur, en particulier dans le monde scientifique et médical. Le doute comme la peur de l'erreur sont le témoin de notre conscience professionnelle, de notre engagement éthique à soigner car dans l'univers biologique, tout n'est pas prévisible. Les effets secondaires individuels, les réactions allergiques sont des événements adverses potentiels qu'il est très difficile de prévoir. Donc la peur de l'erreur médicale est avant tout normale, permanente et plutôt une bonne nouvelle. Il faut sortir de l'illusion sécurisante !
Plus importante chez les jeunes praticiens ou ASV
Cette peur de l'erreur apparaît à partir du moment où nous prenons conscience des risques, des difficultés ou de l'impossibilité de tout prévoir. Elle naît dans le processus d'apprentissage qui suit toujours les quatre mêmes étapes pour passer de l'incompétence à la compétence.
L'incompétence inconsciente est la première étape : « je ne sais pas que je ne sais pas, je suis inconscient de mon incompétence ». Nous avons été nombreux, enfant ou jeune adulte, à rêver d'exercer comme vétérinaire, de sauver tous les animaux. Loin de nous la capacité à intégrer la complexité du métier. Impossible à cet âge-là d'intégrer qu'il n'est pas réaliste de sauver tous les animaux et d'imaginer l'existence d'événements imprévisibles, parfois graves ou mortels.
La seconde étape est l'incompétence consciente : « je sais que je ne sais pas ». Nous découvrons, nous prenons conscience des difficultés, de la possibilité de l'erreur, du fait qu'il est bien difficile de tout connaître et tout maîtriser. C'est l'apprentissage pendant les phases de clinique dans les écoles vétérinaires ou pendant les premiers stages. Le fait de passer de spectateur ou de jeune rêveur à celui d'acteur est le point de départ vers la conscience de ses limites et de ses incompétences. C'est pendant cette phase que naît et grandit la peur de l'erreur, destructrice de la confiance en soi car nous prenons conscience que malgré nos nouvelles connaissances, le champ de notre ignorance est encore vaste. Il est donc légitime que cette émotion soit particulièrement présente chez les étudiants.
La troisième étape est la compétence consciente : « je sais que je sais ». Nous prenons confiance en nous, dans nos nouvelles capacités. Plus nous prenons conscience de nos compétences, moins la peur de l'erreur nous étouffe et plus notre confiance en nous grandit. Plus nous persévérons, plus nous trouvons cela facile. Cependant, en même temps, l'expérience acquise nous montre combien il est illusoire d'imaginer pouvoir anticiper tous les risques possibles. Notre rêve de contrôle absolu des événements disparaît et la peur de l'événement contraire augmente. Même avec les années de pratique, la peur de l'erreur persiste à cause du principe de réalité consciente.
La quatrième et dernière étape est la compétence inconsciente : « je ne sais plus que je sais ». A force de répéter les mêmes gestes, les mêmes méthodologies, plus notre assurance augmente, plus nous passons en mode « mécanique ». Cela permet bien souvent de faire plusieurs choses à la fois, par exemple répondre aux questions de l'ASV pendant une chirurgie complexe que l'on effectue machinalement. La sortie du champ de notre conscience est en réalité une source majeure d'erreur médicale. « 80 % des erreurs actives ont lieu en situation de routine, sur des tâches parfaitement maîtrisées », déclare notre jeune consoeur Leïla Assaghir qui a beaucoup travaillé la question.
Ainsi, la peur de l'erreur est maximale chez les jeunes diplômés durant la courbe de l'apprentissage, entre la 2e et la 3e étape alors que l'erreur est proportionnellement minimale à ce moment-là car « 20 % seulement des erreurs sont dues à un défaut de compétences » pour Leïla Assaghir. A l'inverse, le nombre d'erreurs est maximal en phases 3 et 4, alors que le sentiment de peur est relativement faible, voire nul (inconscience).
Diminuer la peur de l'erreur ?
Il faut d'abord travailler sur la notion de peur. Cela passe avant tout par intégrer que cette peur est légitime et bénéfique, donc ne devrait pas être une source de paralysie ou d'inaction puis comprendre qu'elle n'est qu'une représentation mentale de notre cerveau, sous l'action de nos biais cognitifs.
Par exemple, si nous avons fait 100 ovariectomies de chattes et qu'une seule génère une complication, notre cerveau ancrera fortement ce résultat insatisfaisant, bien loin de la simple importance statistique. Pour calmer cette peur, il est donc nécessaire de travailler sa confiance en soi, c'est-à-dire de faire des bilans ou des projections en pleine conscience, en totale objectivité. Cela conduit à reprendre la main sur son cerveau pour revenir à une réalité et non à une projection angoissante.
L'enjeu est de déjouer l'anesthésie féroce de notre cerveau qui nous condamne à ne pas sortir de notre zone de confort. Il est alors essentiel de pouvoir compter sur son entourage professionnel pour recevoir de la confiance dans nos prises de risques, en nous permettant d'être davantage objectifs sur nous-mêmes, nos compétences, nos réussites et nos difficultés.
Ensuite, il faut diminuer le risque de l'erreur elle-même. Cela passe avant tout par la conscience que l'hyper-compétence ou la capacité à faire vite sont des risques essentiels puis que minimiser le risque passe par une organisation collective où chacun est à la fois conscient de son rôle, de ses missions au sein de l'équipe et capable de s'exprimer pour partager ses peurs et surtout ses besoins, ses idées d'amélioration continue. Il importe d'être en conscience collectivement des situations à risque et d'anticiper ensemble la gestion de ces risques. ■