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Covid-19 : « Il faudra réglementer les marchés d'animaux vivants, notamment en Asie du Sud-Est »

Roger Frutos est directeur de recherche au Cirad.

© D.R.

Pandémie

Chercheur en microbiologie moléculaire au Cirad*, Roger Frutos s'est intéressé, dès 2014, avec son équipe, au lien entre la présence de virus, en particulier les coronavirus, chez les chauves-souris et la structure de leur environnement. Pour lui, au-delà des mesures d'urgence sanitaire, la lutte contre de futures épidémies passera par de meilleures pratiques dans les marchés et élevages d'Asie du Sud-Est.

Pourquoi les chercheurs s'intéressent-ils autant aux chauves-souris ?

Roger Frutos, directeur de recherche et chercheur en microbiologie moléculaire au Cirad : Les chauves-souris sont des réservoirs importants de maladies virales puisqu'elles sont capables d'héberger des virus pendant longtemps sans être affectées. 

Plus précisément, la classification des coronavirus suit de très près la classification des chauves-souris. Le virus responsable de l'épidémie de Covid-19, le Sars-Cov-2, est ainsi associé à la famille des Rhinolophes.

Ce virus a-t-il pu se transmettre directement à l'Homme ?

R.F. : Pour les coronavirus, il n'y a aucun indicateur de transmission directe des chauves-souris à l'Homme, contrairement à des cas de rage avec l'Australian Bat Lyssavirus (ABLV) ou le Duvenhage virus

Dans le cas du virus du syndrome respiratoire aigü sévère (Sras), un autre coronavirus très proche de Sars-Cov-2, le transfert s'est fait par les civettes. 

Et pour le Mers-Cov, un coronavirus pour lequel on observe des taux de mortalité de 34 % et que l'on rencontre au Moyen-Orient, c'est le dromadaire qui a joué ce rôle d'intermédiaire. 

Pour le Sars-CoV-2, même si le pangolin a été mentionné, l'animal intermédiaire n'est pas formellement identifié. 

Attention toutefois : les transferts peuvent avoir lieu longtemps avant l'émergence de la maladie chez l'Homme. Et c'est ensuite l'Homme, en concentrant les animaux dans les élevages ou les marchés, qui favorise l'épidémie.

Le marché de Wuhan, où les premiers cas ont été détectés, est situé dans une zone urbanisée, très loin de la forêt tropicale. Comment expliquer l'origine de l'épidémie que nous traversons ?

R.F. : Il est certain aujourd'hui que les premiers cas ne viennent pas du marché de Wuhan. L'origine réelle de la maladie a été couverte par les autorités locales. Mais Wuhan est une ville très dense qui a permis à l'événement de s'enclencher, comme Hong-Kong et Canton l'ont fait pour le Sras.

La déforestation peut-elle être tenue responsable de cette maladie ?

R.F. : Il n'y a pas de responsable : l'émergence d'une maladie est un processus accidentel. Mais en supprimant la forêt, l'Homme crée des mosaïques rurales, avec des vergers et des canaux, qui fournissent l'alimentation aux chauves-souris. 

L'eau et la lumière attirent les insectes et, par conséquent, les chauves-souris insectivores, à proximité des habitations. 

Par la déforestation, les chauves-souris, loin de se réfugier dans la forêt, se rapprochent des hommes. 

Elles vont alors parfois s'abriter dans les bâtiments d'habitation et d'élevage et entrer en contact avec les humains et le bétail. C'est ce qui s'est passé avec le virus Nipah et les porcs.

Le secteur de l'élevage serait-il particulièrement à risque ?

R.F. : Des études ont montré que 80 % des maladies émergentes sont passées directement de l'animal sauvage à l'Homme. 

La plupart des infections ne sont donc pas directement liées à l'élevage mais plutôt à la vente d'animaux chassés, au braconnage ou même au tourisme, par les randonnées et autres treks. 

De façon générale, l'élevage, en regroupant les bêtes, augmente cependant leur densité, et donc la probabilité de propagation d'une maladie animale, tout en favorisant la présence de moustiques qui peuvent être, eux aussi, des vecteurs de maladies. Toutefois cela ne concerne pas le Covid-19.

L'agriculture et l'élevage sont-ils liés à d'autres épidémies ?

R.F.  : Plus que l'agriculture, c'est sans doute le commerce, le transport et la mobilité qui sont responsables de la plupart des dernières crises. 

Ebola a été identifiée dès 1976 mais ce n'est qu'en 2014 que ce virus a atteint le stade d'épidémie majeure, en se propageant par des routes et des moyens de communication qui jusque-là n'existaient pas. 

Le cas de la dengue est lui aussi emblématique. L'ouverture du canal de Suez au milieu du XIX e siècle a permis à une population de moustiques du bassin méditerranéen de rejoindre l'Asie du Sud-Est, où elle s'est révélée être un vecteur très efficace d'un virus local.

Pourquoi considérez-vous, comme vous l'évoquez dans un article de 2018, que l'Asie du Sud-Est est« un hotspot des maladies infectieuses émergentes » ?

R.F. : L'Asie du Sud-Est fait partie des centres mondiaux de biodiversité, comme l'Amazonie ou l'Afrique centrale. 

Cependant, cette région, contrairement aux deux autres, est densément peuplée, avec une dynamique économique très forte, qui entraîne des pressions sur l'environnement. 

Avec cette activité, des échanges importants et une forte biodiversité, vous augmentez donc les chances d'échanges potentiels entre les virus et leurs hôtes.

Que préconisez-vous pour empêcher l'émergence de nouvelles épidémies comme celle que nous traversons ?

R.F. : Demain, après la crise, il faudra réglementer les marchés d'animaux vivants, avec des infrastructures adaptées, des systèmes d'isolement et une traçabilité mais il faudra aussi réglementer la consommation d'animaux sauvages et interdire certaines médecines traditionnelles. 

ll n'est cependant pas possible de changer les traditions brutalement. Une interdiction brutale aura pour conséquence l'apparition de circuits clandestins incontrôlables. II vaut mieux organiser, légiférer et faire quand même respecter certaines interdictions, comme l'importation d'espèces protégées. 

Pour toutes ces réformes, nous aurons donc besoin d'économistes et de sociologues, qui pourront donner à ces changements des formes acceptables pour la population. Au risque, dans le cas contraire, de reproduire l'échec du Sras, qui n'a conduit à aucun changement politique majeur.

Source : Agra.

* Cirad : Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement.

Article paru dans La Dépêche Vétérinaire n° 1525

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