Consultation d'euthanasie : être à l'écoute des attentes des familles
Mercredi 4 Janvier 2023 Entreprise 46023Le vétérinaire, formé et presque accoutumé à la pratique de l'euthanasie, tend parfois à négliger son importance pour le propriétaire.
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Marie DABERT
Exercice
Il existe souvent un décalage entre les attentes de la clientèle et les habitudes et protocoles vétérinaires concernant la prise en charge de la fin de vie de l'animal de compagnie. Les changements à adopter pour s'adapter à la demande peuvent paraître accessoires et, pourtant, ils sont capitaux pour le propriétaire.
La mort d'un animal de compagnie est un événement fréquent et difficile dans la pratique vétérinaire. Les propriétaires se réfèrent souvent à leur vétérinaire pour les aider dans les démarches post mortem, a fortiori lorsqu'il s'agit d'une euthanasie.
Pourtant, peu de ressources documentaires précisent les attentes des familles concernant ces soins. C'est pour pallier ce manque que notre consoeur Kathleen A. Cooney* a mené une étude pionnière1 visant à cibler ces espérances pour aiguiller les vétérinaires et les prestataires funéraires dans leurs relations avec leur clientèle.
Cette étude intitulée Pet Owners' Expectations for Pet End-of-Life Support and After-Death Body Care : Exploration and Practical Applications a été réalisée, en 2020, aux Etats-Unis, grâce au sondage de plus de 2 000 propriétaires. Ces résultats peuvent être extrapolés dans la pratique vétérinaire française.
L'euthanasie, un moment fort
L'euthanasie correspond à une fin de vie toute particulière puisqu'elle est volontaire. Cet acte est l'apanage du vétérinaire.
Ainsi, près de la moitié des participants (48,8 %) déclarent considérer leur vétérinaire comme leur principal soutien lors de la fin de vie et de la mort de leur animal familier.
Ce soutien, parfois seulement professionnel, joue beaucoup dans la relation avec le client et son deuil : en 2000, dans une autre étude aux Etats-Unis2, 80 % des propriétaires indiquaient que le professionnalisme de l'équipe vétérinaire les avait aidés à faire face à la mort de leur animal.
Cette perte, souvent minimisée par la société, est un évènement traumatisant. En effet, selon une étude menée par Wamiz sur l'ensemble du territoire français fin 2020, 89 % des propriétaires affirment que perdre un animal a été aussi difficile que de perdre un proche 3 .
Pourtant, le vétérinaire, formé et presque accoutumé à la pratique de l'euthanasie, tend parfois à négliger son importance pour le propriétaire.
La dimension du processus du deuil, ses modalités et ses effets peuvent être méconnus. Par exemple, en 2001, moins de la moitié des vétérinaires français pensaient que l'euthanasie avait des conséquences à long terme pour leurs clients4.
Lors de l'euthanasie, malgré un choix délibéré, le propriétaire subit un instant émotionnellement intense qui se répercutera sur sa vie. Il attend du vétérinaire un soutien aussi bien technique que moral. Le praticien doit alors savoir accompagner cette personne, ainsi que sa famille, dans le deuil.
En amont de l'acte, le vétérinaire a un rôle crucial et proactif concernant l'information des propriétaires sur l'euthanasie et le devenir du corps.
Une consultation et des conseils à ne pas négliger
Lors de la consultation d'euthanasie, malgré des explications qui clarifient les derniers instants de vie imminents, la présentation des soins post mortem et de leur aspect administratif est souvent omise ou survolée.
Pourtant, la famille a un réel besoin d'information et elle fait confiance au vétérinaire pour y remédier. En effet, d'après l'étude de Cooney et ses collaborateurs, 72 % des propriétaires aimeraient prendre connaissances des options existantes au préalable via des entretiens au sein des cliniques vétérinaires. Les mêmes souhaits sont exprimés en France : la moitié des propriétaires ne se sentent également pas assez informés sur la gestion administrative de leur animal défunt 3 .
Ainsi, il est fondamental de connaître tous les choix funéraires avec leurs particularités et de les communiquer clairement au propriétaire. Un client non informé du devenir du corps de son compagnon peut devenir anxieux et risquer alors d'aller chercher les services d'un autre vétérinaire5.
Enfin, l'aménagement d'une plage horaire adéquate en présence du propriétaire est essentiel. En majorité (50,7 %), les vétérinaires estiment qu'il faut entre 5 et 15 minutes pour parler d'euthanasie 6 . Or, d'après l'étude de Cooney et ses associés, la majorité des clients souhaiteraient passer jusqu'à 20 minutes avec le personnel uniquement pour parler des options de soins post mortem .
Afin d'engager une discussion sur l'euthanasie et les soins post mortem, il est donc opportun de prévoir une consultation d'une durée confortable (deux fois plus longue) afin de pouvoir aborder les deux sujets équitablement et informer convenablement le propriétaire selon ses attentes.
Rétablir un choix digne pour le défunt
Le propriétaire s'appuie sur l'expertise du vétérinaire pour le guider dans ses démarches. Le praticien est alors garant du respect du corps de l'animal qui devrait être préparé, conservé et acheminé avec dignité et respect.
Or, la plupart du temps, le sac étanche et opaque qui recueille la dépouille animale est un sac plastique que le client ne différencierait pas d'un sac poubelle, s'il en était conscient car ce sujet est bien souvent éludé ou enjolivé.
Ce sac plastique/poubelle n'apparaît clairement pas comme une solution approuvée puisque 85 % des sondés le rejettent1.
Aussi délicat que cela puisse paraître, il est important de communiquer avec le propriétaire sur la conservation du corps de son animal afin de cibler ses attentes et de trouver un compromis entre ce que le client désire pour son animal et ce qu'il est possible de faire, d'après les dispositions réglementaires.
De même, la visite des établissements funéraires vétérinaires apparaît capitale pour les clients. C'est ce que montre l'étude de Cooney, dans laquelle 84 % des interrogés pensent qu'il est important que le personnel vétérinaire visite les établissements recommandés.
Si le client n'est pas, voire mal, informé, il peut se sentir trahi et se retourner contre son vétérinaire. Des critiques négatives, facilement accessibles sur Internet, ont vite fait d'éroder la confiance des clients actuels ou potentiels.
Perdre un animal et garder un client
L'euthanasie est un acte fort dont la mémoire est pérenne. Elle peut éventuellement mettre un point final à la fréquentation d'une clinique par un client.
A noter que la plupart des familles reprendront un animal et l'euthanasie qu'elles ont vécue peut avoir fait évoluer l'image qu'elles avaient de leur vétérinaire, en bien comme en mal 3 .
Ainsi, en 2015, 60 % des vétérinaires sondés par Fordin affirmaient recevoir souvent des remerciements de la part des propriétaires après avoir pratiqué l'euthanasie de leur animal 6 .
Enfin, l'implication du vétérinaire dans les démarches post mortem n'est pas perçue comme déplacée. Au contraire même, le client comprend bien qu'il s'agit d'un travail pour le vétérinaire puisque 62 % des sondés pensent qu'il est juste de le rémunérer s'il aide au suivi post mortem1.
L'étude fondamentale de Cooney souligne donc un décalage entre les attentes de la clientèle et les habitudes et protocoles vétérinaires concernant la prise en charge de la fin de vie.
Les changements à adopter pour s'adapter à la demande peuvent paraître accessoires et, pourtant, ils sont capitaux pour le propriétaire.
La sensibilité de chacun est à prendre en compte et le dialogue permet de sonder, évaluer et répondre aux besoins d'information de son interlocuteur afin qu'il puisse faire un choix éclairé et serein. ■
* Companion Animal Euthanasia Training Academy, Loveland, CO, USA.
Bibliographie
1 Cooney KA, Kogan LR, Brooks SL, Ellis CA (2020). Pet owners' expectations for pet end-of-life support and after-death body care : exploration and practical applications. Topics in Companion Animal Medicine, 43: 100503.
2 Adams CL, Bonnett BN, Meek AH (2000). Predictors of owner response to companion animal death in 177 clients from 14 practices in Ontario. Cité par Fordin en 2015 (thèse vétérinaire ENVT).
4 Gagnon AC, A. Salomon (2001). La mort des animaux familiers ; résultats d'une enquête menée auprès de 473 vétérinaires et 115 propriétaires. Cités par Fordin en 2015 (thèse vétérinaire ENVT).
5 Ettinger SJ, Feldman EC (2010). Textbook of Veterinary Internal Medicine. 7e édition. Saunders, p.35-40. Cité par Fordin en 2015 (thèse vétérinaire ENVT).
6 Fordin A. (2015). Aspects pratiques et éthiques de l'euthanasie du chien et du chat : étude auprès des vétérinaires établis en France. Thèse d'exercice, Ecole nationale vétérinaire de Toulouse, 122 p.