Charge de travail : impact certain sur la santé physique et psychologique des étudiants vétérinaires

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Maud LAFON

Enquête

Évaluer la charge de travail des étudiants des quatre écoles nationales vétérinaires françaises a été l'objet d'une enquête conduite au printemps 2022 par l'association Vétos-Entraide, en collaboration avec l'Association internationale des étudiants vétérinaires Nantes, dans la continuité du rapport sur la vie étudiante vétérinaire réalisé en 2018. Elle a donné lieu à un rapport qui a mis en évidence différents facteurs qui peuvent influencer cette charge de travail et l'a corrélée à divers ressentis ou comportements exprimés par les étudiants. Ces données pourraient être utiles dans la prévention primaire de certains risques psychosociaux.

Dans la continuité d'un rapport conduit en commun par l'association Vétos-Entraide et l'Association internationale des étudiants vétérinaires (IVSA) Nantes sur la qualité de vie et la santé des étudiants des quatre écoles nationales vétérinaires (ENV) françaises en 2018, les deux associations ont produit, début 2023, une douzaine de mini-rapports thématiques (lire DV n° 1652, 1653 et 1658). Le troisième rapport concerne la charge de travail global des étudiants au sein des ENV françaises.

Ce sujet a été abordé par le biais d'un questionnaire diffusé au printemps 2022 auprès des étudiants des quatre écoles et ayant reçu 852 réponses dont 847 exploitables (soit 25,2 % de la population étudiante présente, ce qui en fait un échantillon représentatif) qui ont donné lieu à la rédaction d'un rapport.

Ses auteurs* précisent que « la charge de travail fait partie des risques psychosociaux bien identifiés et codifiés qu'(ils ont) développés dans le rapport IVSA Vétos-Entraide 2018* ».

Suivi des cours magistraux : un niveau modéré

Ils ont exploré dans ce nouveau document le travail personnel, la présence aux cours magistraux, la charge de travail en dehors ou en périodes de révisions.

Il apparaît que « la population étudiante suit les cours magistraux de manière modérée (figure n° 1) : 46,1 % ne les suivent que peu ou pas du tout. 37,5 % des élèves sont assidus ou très assidus » . Cette assiduité connaît des disparités en fonction des années d'étude et des établissements.

Ainsi, à Nantes, les élèves suivent les cours magistraux bien plus qu'à Lyon. « Les modalités d'enseignement suivant les écoles ont donc une influence importante sur l'assiduité des élèves » , en déduisent les auteurs.

Les étudiants de 1ère année sont extrêmement assidus aux cours magistraux, la différence étant majeure avec ceux de 2 e  année, tandis que ceux de 4 e année semblent les moins motivés, ce que les auteurs du rapport relient au confinement et à leur entrée dans le cursus avec des cours en distanciel et aussi à leur lassitude de la théorie (figure n° 2).

Ils notent par ailleurs « une corrélation très fine entre l'assiduité aux cours magistraux et le niveau de travail personnel » tandis qu'une telle corrélation n'existe pas avec l'impatience de commencer les cliniques qui est forte pour tous.

L'estime de soi académique est étroitement corrélée à la présence aux cours magistraux, tout comme le sentiment que le contenu des cours servira dans leur pratique à venir.

Plusieurs autres facteurs interagissent avec l'assiduité aux cours. Par exemple, participer à la vie associative ou aux activités extrascolaires diminue l'assiduité aux cours tandis que « suivre très assidûment les cours magistraux est en relation très significative avec des relations interpersonnelles plus difficiles » .

Les auteurs estiment donc que « le travail en équipe mériterait d'être mieux valorisé » tandis que les individus les moins à l'aise en société devraient être accompagnés.

La consommation d'alcool, la participation aux fêtes, avoir un job étudiant pendant l'année induisent un absentéisme plus marqué aux cours.

« L'absentéisme très important, voire systématique, de certains étudiants lors des cours magistraux ne doit pas être considéré comme une simple désinvolture. Il existe d'autres causes qui méritent d'être explorées » , concluent les auteurs.

Travail personnel : plus important en début et fin de cursus

En ce qui concerne le travail personnel , « les étudiants sont plutôt assidus en moyenne dans leur travail personnel. 44,4 % sont très assidus. 27,6 % ne le sont que peu ou très peu » (figure n° 3).

Là encore, des disparités existent entre les écoles et les années et le sexe avec un travail personnel fourni plus important à Nantes qu'à Lyon, les femmes plus travailleuses que les hommes et les non binaires de manière très significative, en continuité de la tendance concernant l'assiduité aux cours magistraux mais qui n'était pas significative.

Les étudiants de 1 ère année effectuent un travail personnel bien plus important que ceux de 2 e  année et, ensuite, le travail personnel augmente au fur et à mesure du cursus de manière très significative pour devenir important en 5 e  et 6 e années (figure n° 4).

Les élèves entrés dans les écoles vétérinaires françaises par le concours B (voie réservée aux étudiants en préparation d'un diplôme national de licence ou les titulaires de certaines mentions de licence professionnelle) travaillent plus que les élèves du concours A ou C avec une grande significativité et seule la voie post-bac revendique un plus haut niveau de travail personnel. La présence aux cours magistraux était similaire pour les concours A, B et C.

La quantité de travail personnel n'influe pas sur l'épanouissement des élèves durant leurs études.

Les élèves qui participent aux TD et aux cours magistraux sont aussi ceux qui travaillent le plus personnellement avec une très grande significativité, ce qui est cohérent.

Par ailleurs, plus les rotations cliniques sont exigeantes et plus le travail personnel des élèves est important, indiquant une implication forte des étudiants.

8 % des étudiants souffrent physiquement quotidiennement du travail à fournir et 23 %, souvent.

32 % des élèves sont régulièrement stressés et cela leur pèse. 9 % des élèves sont suivis par un professionnel à cause de cela.

Les élèves qui souffrent le plus physiquement ou psychologiquement du travail à fournir sont aussi ceux qui ont un travail personnel très important. « Charge de travail et impact sur la santé physique ou psychologique sont en lien très significatif » , résument les auteurs.

Sur ce volet encore, plusieurs facteurs impactants sont mis en avant. Ainsi, la consommation d'alcool, avoir un job étudiant ou un plus haut niveau d'activité associative ou extrascolaire sont associés à un moindre travail personnel.

Tristesse et idées noires diminuées, enthousiasme et confiance en l'avenir augmentés sont en lien avec une quantité de travail personnel modérée.

« Il est vraisemblable que trop de travail soit lié à une pression importante ou à du perfectionnisme. Très peu de travail serait lié à un isolement, une perte de sens ou un laisser-aller, voire à des troubles psychologiques ou psychiatriques », ajoutent nos confrères.

Travail hors période de révisions : toujours la modération

Sur le volet du travail hors période de révisions, le temps de travail hebdomadaire toutes écoles confondues est de 28 heures pour les 4 premières années d'étude, ce que les auteurs du rapport qualifient de charge de travail modérée.

On retrouve ici les mêmes différences entre écoles et années d'étude : 8 heures de moins travaillées à Lyon en moyenne qu'à Nantes par semaine, plus grand nombre d'heures de travail pour les élèves de 1 ère année.

La consommation d'alcool est corrélée négativement à cette charge de travail tout comme le fait d'avoir un job étudiant.

Les auteurs constatent que « la souffrance psychologique due au travail à fournir se manifeste quotidiennement , hors période de révision, dès lors que les élèves travaillent plus de 40 heures par semaine (elle est déclarée par 32 % des élèves dans cette situation) et induit le suivi par un professionnel lorsque certains élèves travaillent plus de 50 heures par semaine » . Les élèves dans cette situation se sentent plus tristes que les autres et ont moins confiance en eux.

A l'inverse, « la souffrance psychologique est faible lorsque certains élèves travaillent moins de 15 heures par semaine hors période de révisions » .

Les auteurs rappellent que l'Organisation mondiale du travail a établi le seuil maximal de travail à 48 heures hebdomadaires et qu'il s'agit bien ici d'une question de santé publique.

Travail en période de révisions : charge de travail plus importante à Alfort

Concernant le travail en période de révisions, la moyenne hebdomadaire est de 53,5 heures pour les étudiants de la 1ère à la 4e années (figure n° 6).

Ces périodes étant limitées en temps et en fréquence, les auteurs s'attendent à un moindre impact et des conséquences moins durables sur la santé des étudiants.

10 % des élèves des ENV travaillent moins de 35 heures par semaine en période de révisions. Ils sont 21 % à Lyon et 4 % à Alfort.

36 % des élèves travaillent plus de 60 heures par semaine en période de révisions. Ils sont 55 % à Alfort et 17 % à Lyon. Ainsi, la charge de travail apparaît plus importante à Alfort où les élèves travaillent 6 heures de plus qu'à Toulouse et 13 heures de plus qu'à Lyon, école où le travail hebdomadaire est le moins important.

En périodes de révisions, aucun élève de 1ère année ne travaille moins de 30 heures par semaine.

« Comme pour les autres indicateurs de la charge de travail, l'exigence des études se fait sentir lorsque les élèves travaillent beaucoup, au-delà de 60 heures par semaine lors des révisions. Une charge de travail modérée entre 35 et 40 heures est reliée à un moindre ressenti d'exigence des études » , indique le rapport.

Les élèves en périodes de révisions qui travaillent plus de 70 heures par semaine sont soumis à des risques psychosociaux importants (souffrance physique au travail qui se manifeste plus souvent, voire quotidiennement, et ressenti régulier du stress). Ils sont souvent aussi ceux qui travaillent plus de 50 heures par semaine hors périodes de révisions.

A l'inverse, ne plus réussir à travailler ou être en situation de saturation peut aussi être associé à une charge de travail en période de révisions très faible (moins de 15 heures hebdomadaires). Trop faibles ou trop gros volumes de travail sont donc deux critères d'alerte à prendre en compte car « dans les deux cas, la souffrance est importante et les risques de décompensation s'accumulent ».

Enfin, « le travail dédié aux études vétérinaires hors périodes de révisions est très significativement corrélé au travail effectué en périodes de révisions : les élèves sont cohérents dans leur pratique de travail » .

* Marie et Thierry Babot-Jourdan de Vétos-Entraide avec la participation de Clara Brunet de Gail et Carole Edel de l'IVSA Nantes.

Gros Plan : Quelques pistes d'évolution

De l'analyse des données du rapport sur la charge de travail globale dévolue aux étudiants des quatre écoles nationales vétérinaires françaises et de la lecture des verbatim, les auteurs du rapport* publié par Vétos-Entraide et l'Association internationale des étudiants vétérinaires Nantes dégagent quelques pistes d'évolution :

- ne pas excéder 50 heures de travail hebdomadaire si la charge de travail est régulière, que celle-ci soit prescrite par la hiérarchie, l'encadrement, les enseignants ou qu'elle soit un volontarisme de la part des élèves car ses conséquences sont alors délétères en termes de santé publique ; en périodes de révisions, les facteurs de risques apparaissent de manière importante au-delà de 70 heures de travail hebdomadaire ; une prévention des risques psychosociaux sur la charge de travail est nécessaire en direction de tous les acteurs au sein de l'école, élèves compris ;

- suivre les individus les plus fragiles ;

- accorder un soutien scolaire ou psychologique aux élèves qui ont des problèmes méthodologiques ou doutent d'eux-mêmes ;

Revoir les programmes

- la tempérance dans le travail personnel étant positivement corrélée au bien-être étudiant dans toutes ses formes, la prévention des risque psychosociaux demande d'interroger ce que font les étudiants durant le temps personnel de travail et de vérifier s'il est justifié ;

- revoir les programmes des études en diminuant les détails pour ne pas aboutir à la demande d'une connaissance encyclopédique de chacune des matières enseignées au détriment d'un grand tout qui permet de mieux cerner l'utilité et le sens de ce qui est enseigné ;

- la prévention passe par la prise de conscience collective que chaque individu possède un seuil au-delà duquel la charge de travail est délétère sur les moyen et long termes ;

- valoriser le travail en équipe ;

- réfléchir en profondeur sur les rituels festifs et le triptyque enseignement, sociabilité, fêtes et alcool pour une meilleure prévention de l'alcoolisme.

Le rapport ayant montré que 3 à 4 étudiants sur 10 souffrent physiquement ou psychologiquement du travail à fournir de manière importante ou très importante, « ces données justifient un dispositif de prévention des risques psychosociaux », concluent ses auteurs.

« Les données en termes de santé mentale des étudiants vétérinaires sont très claires : il est préférable de valoriser la qualité et la pertinence des enseignements plutôt que la quantité de travail, de présence et de connaissances », ajoutent-ils. M.L.

* Marie et Thierry Babot-Jourdan de Vétos-Entraide avec la participation de Clara Brunet de Gail et Carole Edel de l'IVSA Nantes.

Figure n° 1 : Suivez-vous les cours magistraux ? De 1 : aucun cours (en rouge, en haut à droite) à 5 : tous les cours (en ocre, en haut à gauche)
Figure n° 2 : Croisement entre l'année d'étude et l'assiduité à suivre les cours magistraux
Figure n° 3 : Niveau de travail personnel fourni : de 1, « Je ne travaille presque jamais en dehors des cours magistraux et travaux dirigés » (en rouge, en haut à droite) à 5, « Je travaille régulièrement et beaucoup par moi-même » (en ocre, en haut à gauche)
Figure n° 4 : Croisement entre l'année d'étude et le niveau de travail personnel
Figure n° 5 : Nombre d'heures hebdomadaires dédiées aux études vétérinaires (cours magistraux, travaux dirigés, travail personnel) hors périodes de révisions (pour les élèves de 1ère, 2e, 3e et 4e années)
Figure n° 6 : Nombre d'heures hebdomadaires dédiées aux études vétérinaires (cours magistraux, travaux dirigés, travail personnel) pendant les périodes de révisions (pour les élèves de 1ère, 2e, 3e et 4e années)

Article paru dans La Dépêche Vétérinaire n° 1663

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