Céphalosporines par voie intramammaire : une étude suggère l'absence de risque de sélection de colibacilles producteurs de BLSE
Mercredi 7 Juin 2023 Animaux de rente 47662© Txakel - Fotolia.com
Laurent MASCARON
Correspondant en infectiologie et vaccinologie
Courriel : l.mascaron@orange.fr
Vache laitière
Une étude in vitro a été réalisée afin d'évaluer le risque potentiel de sélection de colibacilles producteurs de béta-lactamases à spectre élargi (BLSE) dans les matières fécales et le lisier de vaches traitées par voie intramammaire avec deux spécialités à base de céphalosporines de 1ère ou 2e génération (céfapirine ou céfalonium). Les concentrations en principes actifs au-dessus desquelles peut s'effectuer ce type de sélection, mesurées au laboratoire après contact avec des souches terrain d' E coli issues de plusieurs états de l'Union européenne, apparaissent supérieures aux concentrations atteintes dans les fèces et le lisier des vaches traitées, estimées sur la base des données pharmacocinétiques disponibles. Ces résultats suggèrent que l'administration de ces antibiotiques à des vaches laitières, en conformité avec leur RCP, ne contribue pas à la sélection de colibacilles producteurs de BLSE.
Dans le contexte Une seule santé de préservation de l'efficacité des antibiotiques, un objectif majeur est de contrôler la proportion importante de colibacilles multirésistants isolés en médecine humaine, particulièrement en milieu hospitalier.
En médecine vétérinaire, la filière bovine est celle où l'on constate la plus grande fréquence d'isolement de colibacilles multirésistants (résistance acquise à au moins 3 antibiotiques parmi un panel de 5), avec 20 % des isolats, devant la filière porcine (17 %), les autres espèces domestiques enregistrant des fréquences plus faibles, entre 5 et
10 %. Cette proportion est variable selon l'origine des prélèvements, les souches d'origine digestive portant chez les bovins l'essentiel de la résistance (rapport annuel 2021 du Resapath*).
La résistance aux céphalosporines de troisième et quatrième générations (C3/C4G) chez les entérobactéries est principalement sous-tendue par la production de béta-lactamases à spectre élargi (BLSE).
Même si la fréquence d'isolement chez les bovins d'E. coli résistantes aux céphalosporines de 3e et 4e générations reste très faible et en diminution, suite à la restriction de leur prescription en tant qu'antibiotiques critiques et aux efforts de la profession pour maîtriser l'usage des anti-infectieux, des céphalosporines de 1ère ou 2e génération sont couramment utilisées chez les vaches laitières par voie intramammaire pour le traitement des mammites cliniques en lactation ou au tarissement et par voie intra-utérine pour le traitement des métrites.
Même s'il s'agit de traitements locaux impliquant de faibles quantités d'antibiotiques en comparaison du poids des animaux traités, l'élimination de ces principes actifs par voie fécale et urinaire peut éventuellement laisser planer un doute, en l'absence de données, sur le risque de sélection de colibacilles producteurs de BLSE.
Afin de déterminer si ces usages peuvent sélectionner dans les fèces ou le lisier des vaches traitées des colibacilles producteurs de BLSE, une étude in vitro a été menée à la faculté de médecine vétérinaire de l'université d'Utrecht (Pays-Bas) sur des prélèvements issus de quatre pays européens. Elle a consisté à mettre en contact au laboratoire deux principes actifs antibiotiques (céfapirine ou céfalonium) avec des souches d' E coli issues de différents élevages laitiers, avec ou sans fermentation avec des fèces ou du lisier de vaches laitières, et à déterminer les seuils de concentration au-dessus desquels peut s'opérer une sélection de souches productrices de BLSE.
Dans un second temps, une extrapolation sur le risque de sélection de ces souches dans les fèces et le lisier de vaches laitières traitées par voie intramammaire avec deux spécialités contenant ces mêmes principes actifs (Mastiplan LC ND, Cepravin ND) a été effectuée, en comparant ces seuils avec les concentrations atteintes in vivo, estimées sur la base des données pharmacocinétiques disponibles.
Matériels et méthodes
Détermination in vitro des concentrations en principe actif au-dessus desquelles peut s'effectuer une sélection de colibacilles producteurs de BLSE
- Souches d'E. coli utilisées
3 souches d'E. coli productrices de BLSE et 3 souches d'E. coli non productrices de BLSE, isolées à partir de lait, de matières fécales ou de litière, dans trois fermes laitières en Allemagne, en Belgique, aux Pays-Bas et au Royaume-Uni.
Envoi des 24 souches (6 par pays inclus dans l'étude) au laboratoire de l'université d'Utrecht où est réalisée l'étude.
- Matières fécales et lisier
Dans chacun des pays inclus dans l'étude, fèces frais de 10 vaches laitières en bonne santé, collectés dans trois fermes et acheminés sous 24 heures par envoi réfrigéré au laboratoire d'Utrecht ; un pool des 10 prélèvements originaires de chaque pays a été constitué pour procéder aux tests.
Dans chacun des pays inclus dans l'étude, un prélèvement de la fosse à lisier d'un élevage laitier a été effectué puis acheminé sous 24 heures à température contrôlée au laboratoire d'Utrecht.
- Tests pour identifier les souches productrices de BLSE
Pour chacun des pays inclus dans l'étude, utilisation d'un pool des 6 souches d'E coli fournies par ce pays.
Test de résistance au cefotaxime (CTX : C3G de référence utilisée en médecine humaine), après mise en contact du pool de souches de chaque pays avec des concentrations croissantes de céfapirine (CP) ou de céfalonium (CL) :
· pendant six heures puis une nuit sur milieu de culture enrichi ;
· après fermentation pendant six heures puis une nuit avec le pool de matières fécales fournies par ce pays ;
· après mise en contact pendant six heures puis une nuit avec le prélèvement de lisier fourni par ce pays ;
· les souches résistantes au céfotaxime sont considérées productrices de BLSE.
Recherche par séquençage des gènes de résistance aux antibiotiques
- Pour chacun des pays inclus dans l'étude, sur matières fécales et lisier, recherche génomique sur chacun des tubes après réalisation du test de résistance.
- Recherche des gènes connus de résistance aux principales familles d'antibiotiques.
Estimation des concentrations en principes actifs dans les fèces et le lisier des vaches traitées par voie intramammaire avec deux spécialités à base de céphalosporines
- Calcul sur la base des données pharmacocinétiques disponibles.
- Les schémas thérapeutiques retenus pour l'estimation correspondent à deux spécialités indiquées pour le traitement des mammites cliniques ou des vaches au tarissement :
. céfapirine (sous forme sodique : Mastiplan LC ND) : 2 injecteurs contenant chacun 300 mg de céfapirine, 2 fois par jour pendant 2 jours consécutifs ;
. céfalonium (Cepravin ND) : 4 injecteurs contenant chacun 250 mg de céfalonium.
- Pour ces deux céphalosporines, dont l'excrétion s'effectue après traitement surtout par le lait et l'urine, la fraction de principe actif excrétée par voie digestive a été estimée pour le calcul à 2 % (valeur maximale selon les données disponibles).
- Les concentrations en principes actifs dans le lisier des vaches traitées (où se mélangent les fèces, l'urine et le lait écarté) ont également été estimées.
Résultats
Détermination in vitro des concentrations en principes actifs au-dessus desquelles peut s'opérer une sélection de colibacilles producteurs de BLSE
Dans l'étude, une sélection des colibacilles producteurs de BLSE n'a pas été observée à des concentrations en principe actif égales ou inférieures à 0,8 µg/ml (CP) et 0,4 µg/ml (CL) sur milieux enrichis (figure n° 1) et à une concentration égale ou inférieure à
8 µg/ml (CP) et 4 µg/ml (CL), respectivement, dans les matières fécales et le lisier (figures n° 2 et 3).
Comparaison avec les concentrations attendues dans les matières fécales et le lisier des vaches traitées
Sur la base des calculs effectués d'après les données scientifiques disponibles, les concentrations attendues en céfapirine et en céfalonium, après administration intramammaire des deux spécialités précédemment citées aux doses indiquées dans le RCP, sont comprises entre 0,11 et 0,29 µg/ml de matières fécales chez les vaches laitières traitées.
Estimées selon la même méthode, les concentrations attendues en céfapirine et en céfalonium se situent entre 0,023 et 0,029µg/ml dans le lisier des vaches laitières après traitement.
Résistome dans les matières fécales et le lisier des vaches laitières
Une grande diversité des gènes de résistance aux différentes familles d'antibiotiques a été constatée selon le pays d'origine des prélèvements, avec un résistome prédominant vis-à-vis des lincosamides et des bêta-lactamines. Indépendamment de l'origine des prélèvements, un niveau plus élevé de résistance génétique aux bêta-lactamines a été constaté sur les matières fécales par rapport au lisier.
A l'inverse, un niveau plus élevé de résistance aux tétracyclines a été constaté dans le lisier par rapport aux matières fécales, potentiellement causé par leur meilleure stabilité que celle des bêta-lactamines.
Aucune augmentation du résistome des colibacilles n'a été constatée dans l'étude après contact pendant six heures puis une nuit avec la céfapirine ou le céfalonium, aux différentes concentrations utilisées.
Discussion-conclusion
Les concentrations en céfapirine et céfalonium atteintes dans les fèces et le lisier des vaches traitées par voie intramammaire, en accord avec le RCP des deux spécialités considérées, estimées selon les données pharmacocinétiques, apparaissent très inférieures aux concentrations minimales déterminées dans l'étude pour la sélection de colibacilles producteurs de BLSE.
Ces résultats suggèrent que l'administration des deux spécialités à des vaches laitières, en conformité avec leur RCP, ne contribue pas à cette sélection**.
Des études ultérieures en élevage sur des vaches traitées pourraient être utiles afin de confirmer ces résultats. ■
* Résapath : Réseau de surveillance de l'antibiorésistance des bactéries pathogènes animales.
** Céfapirine également présente dans la spécialité Facel HL ND.
Référence
Speksnijder DC et al. Potential of ESBL-producing Escherichia coli selection in bovine feces after intramammary administration of first generation cephalosporins using in vitro experiments, Sci. Rep, 2022, 12: 15083 (poster MSD WBC 2022) .