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Cédric Sapin-Defour :  « Distance émotionnelle et froideur scientifique sont indispensables pour protéger le coeur des vétérinaires »

L'auteur rappelle la routine d'une vie en compagnie d'un chien - vaccins, bobos... - et les grandes marées - accidents, urgences, réveils en sursaut - qui font sauter dans une voiture, pousser les portes de la clinique, attendre l'appel du vétérinaire.

© D.R.

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Après lui avoir consacré un éditorial, La Dépêche Vétérinaire a interrogé Cédric Sapin-Defour, alpiniste et auteur du livre Son odeur après la pluie, sur sa relation avec son bouvier bernois Ubac et ses vétérinaires. Il explique qu'il a besoin d'un vétérinaire qui regarde son chien dans les yeux, le caresse avant de l'ausculter, détienne cette part d'humanité qui est une précieuse attention à un être vivant autre que soi-même, tout en imaginant que la distance émotionnelle et la froideur scientifique sont indispensables pour protéger le coeur des vétérinaires et les faire durer dans le métier.

La Dépêche Vétérinaire : Comment qualifieriez-vous en quelques mots la relation avec votre chien Ubac ? Vous semble-t-elle unique, liée à sa race... ?

Cédric Sapin-Defour, auteur et alpiniste : J'ai rarement croisé des personnes considérant la relation à leur propre chien comme commune et quelconque. Réalité, croyance, égarement ou bienfait, je n'en sais rien, mais chacun éprouve sa relation comme unique, au-dessus de tout et par nulle autre égalée.

Je n'échappe pas à la règle, j'ai le sentiment d'avoir vécu le prodigieux. C'est la force de l'intime et de l'indicible et il me plaît qu'on n'applique pas à ce sentiment d'extraordinaire une palette d'outils le mesurant et le pondérant. Je n'ai pas à tenter d'expliquer les raisons du succès de Son odeur après la pluie, ce serait un exercice bien piégeux mais il y a de cela : chacun lit l'histoire à l'aune de sa propre expérience et remplace joyeusement Ubac par qui de droit. La frontière entre l'intime et l'universel est grande ouverte.

D.V. : Quels sont les faits marquants qui vous ont amené à évoquer vos échanges avec les vétérinaires dans le livre ?

C.S.-D. : Il y a la routine d'une vie en compagnie d'un chien : les vaccins, les bobos, les pesées, les selles liquides. Ce que l'on vit au fil de l'eau et qui rythme sans trop d'effroi une existence commune. Jusqu'à estimer la vie éternelle.

Et il y a les grandes marées : les accidents, les urgences, les réveils en sursaut. Ces surgissements qui nous font sauter dans une voiture, pousser sans ménagement les portes de la clinique, prier tous les dieux auxquels on ne croit pas, camper devant un téléphone à attendre l'appel du vétérinaire ayant opéré votre bête, ces fracas nous rappelant la fugacité, la vulnérabilité de ce que l'on croit infini.

Le marquant donc, c'est ce tissage entre l'habitude et l'imprévisible. Comme le tracé d'un coeur qui bat : du plat, des petites bosses, un pic. Et ça recommence.

D.V. : La plupart des vétérinaires sont cités sous leur propre identité. Cela sous-entend une confiance bien installée, qu'en est-il ?

C.S.-D. : Vous êtes le premier à souligner cette permission que je me suis allègrement octroyée. Pour tout dire, je ne me suis pas posé une seconde la question. J'ai connu cette vie, j'ai rencontré ces êtres et ne pas les nommer... aurait représenté à mes yeux comme un manque de courtoisie. Le nom, c'est le premier des égards.

Sans doute car je savais au fond de moi que les mots que je tiendrais à leur endroit seraient élogieux et portés par la gratitude. Sans doute aussi car, en tant que lecteur préférant le récit aux fictions, j'aime l'idée que les protagonistes d'une histoire existent vraiment et que nous respirions le même air de la vie réelle.

Ceci dit, je vais désormais guetter l'arrivée de « ma » factrice avec fébrilité, tenant au bout de ses doigts un recommandé et la plainte déposée par le docteur Sanson estimant sa réputation écornée par le livre.

D.V. : La consultation vétérinaire est un moment singulier, posant des mots sur un animal qui les subit. Comment percevez-vous ce curieux trilogue ?

C.S.-D. : C'est une drôle de danse, oui. Il y a ce trouble, il y a ces gesticulations entre savoir et connaissance. Ce que le spécialiste sait, ce que la communauté scientifique et vétérinaire sait, savoirs sans lesquels les soins appropriés ne s'envisagent pas.

Et à côté, parfois en face, il y a ce que la relation d'avec notre chien a construit pas à pas, nous faisant dire que personne, même le plus sachant des sachants, même le plus net des contrastes échographiques ne connaît mieux ce chien que nous-mêmes. Savoir contre connaissance.

Là encore, on touche au sentiment d'unicité de notre histoire, de notre lien qui, croit-on (ou est-ce la réalité ?), échappe à tous les radars, bouscule toutes les statistiques. C'est assez schizophrénique en réalité : une partie de soi se repose pleinement sur le diagnostic de l'expert, une autre voudrait fuir l'annonce de ce charlatan. En fait, on le sait, on voudrait de lui qu'il ne soit colporteur que des nouvelles heureuses.

D.V. : Les jeunes vétérinaires, très affutés scientifiquement, peinent parfois à communiquer avec les propriétaires. Que souhaiteriez-vous leur conseiller ?

C.S.-D. : Mon expérience personnelle ne m'a pas démontré cette scissure générationnelle. Et je me garderais bien de donner le moindre conseil.

Ce qui est certain, à titre très personnel, c'est le besoin de ressentir chez le professionnel l'amour profond des bestioles. J'imagine comme la distance émotionnelle et la froideur scientifique sont indispensables pour protéger le coeur des vétérinaires et faire durer dans le métier.

L'empathie pleine et systématique ne serait pas viable. Mais, moi, j'ai besoin d'un vétérinaire qui caresse mon chien, qui le regarde dans les yeux, qui le papouille avant de l'ausculter et qui rit de le voir passer de l'autre côté du bureau à lui soulever tant et si bien le coude qu'il ne parvient pas à tamponner son carnet de santé.

Qu'il détienne cette part d'humanité qui n'est pas de l'anthropomorphisme mais une simple et précieuse attention à un être vivant autre que soi-même. Cela, on le ressent tout de suite.

Si c'est absent ou surjoué, je m'en vais poliment. Mais c'est le socle d'une relation de confiance avec mon vétérinaire, il y a une vie au bout de cette laisse et je demande qu'il en tienne compte. Que son mur soit bardé de diplômes rares, qu'il ait écrit un livre de trois cents pages sur le mastocytome du bouvier, peut-être et tant mieux, mais avant tout, je lui demande de tapoter le flanc de l'animal et de lui demander comment il va. Le reste, c'est de la littérature...

Article paru dans La Dépêche Vétérinaire n° 1677

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