Cannabidiol - Un intérêt en médecine du comportement

Thierry BEDOSSA

L'auteur de cet article déclare avoir des liens d'intérêts avec les laboratoires TVM et CBR Research avec lesquels il collabore.

Nouvelle classe de produits pharmaceutiques à l'avenir prometteur, tant en médecine humaine que vétérinaire, les produits à base de cannabidiol ou CBD, un des 750 composés actifs de la plante Cannabis sativa, font l'objet d'un nombre d'études croissant, visant à préciser leur innocuité et leur efficacité dans diverses situations pathologiques. Parmi elles, la sphère comportementale s'avère être un champ d'application particulièrement adapté. Ces indications potentielles s'expliquent par le mode d'action du CBD et son tropisme pour le système nerveux central et périphérique.
Les produits issus de la plante Cannabis sativa, qu'on connaît mieux sous son nom de cannabis, - et plus particulièrement le CBD (cannabidiol) qui dérive d'un phytocannabinoïde non hallucinogène du cannabis, l'acide cannabidiolique - font l'objet d'un nombre de publications croissant en termes d'applications médicales.
Pourquoi cet engouement scientifique, pharmaceutique et médical autour du CBD ? Parce que, contrairement au tétrahydrocannabinol (THC), un autre des cannabinoïdes contenus dans le cannabis et classé parmi les stupéfiants, le CBD n'a pas d'effet « enivrant » mais seulement des propriétés qu'on pensait uniquement relaxantes initialement mais qui semblent en réalité aller bien au-delà du simple apaisement émotionnel.

UNE LÉGISLATION ENCORE FLOUE

La législation du CBD en France n'est pas exactement calquée sur le droit européen.

Au plan européen, une décision de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) du 24 novembre 2020 dans l'affaire dite Kanavape a relativement changé la donne1.

Jusqu'à cette date, le droit de l'Union européenne (article 1er de l'arrêté du 22 août 1990) limitait la culture, l'importation et l'utilisation industrielle et commerciale du chanvre aux seules fibres et graines de la plante (le chanvre agricole est utilisé dans les secteurs du bâtiment, du textile, de l'automobile...) et interdisait, de ce fait, l'importation et la commercialisation d'huile de cannabidiol (CBD) obtenue à partir de plantes entières de chanvre.

Dans son arrêt, la CJUE considère qu'en l'état des connaissances scientifiques et sur la base des conventions internationales en vigueur, l'huile de CBD ne constitue pas un produit stupéfiant et autorise, sous conditions, la commercialisation du CBD issu de la plante entière.

Bien que la libre circulation soit donc théoriquement officielle, les Etats membres conservent toutefois le pouvoir de restreindre la commercialisation sur des arguments de santé publique.

En France, les produits contenant du CBD ne peuvent, sous peine de sanctions pénales, revendiquer des allégations thérapeutiques, à moins qu'ils n'aient été autorisés comme médicament et obtenu pour cela une AMM. A ce jour, aucun produit humain ou vétérinaire contenant du cannabis n'en possède une dans notre pays.

Quant aux compléments alimentaires contenant du CBD, ils ne pourraient être légalement commercialisés sans autorisation de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) car, dans ce cadre, le CBD est considéré comme un « nouveau produit » qu'on ne peut pas utiliser librement (en particulier, il ne figure pas sur la liste des substances autorisées pour compléments alimentaires).

Des compléments alimentaires à base de CBD sous diverses formes galéniques sont malgré tout disponibles en médecine vétérinaire : soit ils proviennent de pays tiers dans lesquels la législation est moins exigeante (Royaume-Uni), soit leur commercialisation n'est pas légale en France car il ne semble pas que l'Anses ait accordé des autorisations à ce jour (mais on peut espérer une prochaine régulation).

Pour que leur usage ne se répande pas sans rigueur scientifique ni prescription raisonnée, il importe d'informer les vétérinaires sur ces produits et leurs intérêts potentiels tout en leur en donnant un mode d'emploi.

MODE D'ACTION DU CBD

Sans être un psychotrope, ses effets bénéfiques sur le comportement commencent à être confirmés par diverses publications. Les effets antinociceptifs de ces produits ont également été mis en évidence et, même s'ils ne font pas l'objet de cet article, le couplage des deux agit sans conteste favorablement sur le bien-être de l'animal.

De nombreux travaux ont été réalisés en recherche pharmacologique sur les cannabinoïdes pour éclairer leurs mécanismes d'action au niveau du système nerveux central 2,3.

Ces derniers sont générés par ce qu'on nomme le système endocannabinoïde endogène, présent chez tous les vertébrés et de nombreux invertébrés et qui joue un rôle majeur dans l'homéostasie.

Deux types de récepteurs cannabinoïdes, exprimés sur les membranes cellulaires et dans les mitochondries, ont ainsi été caractérisés : CB1, isolé en 1990 à partir du cerveau de rat, et CB2, isolé en 1993 à partir de cellules myélocytaires HL60 et qui présente 44 % d'homologie avec CB1. A noter que d'autres récepteurs suppuratifs sont en cours d'identification (GPR55, GPR18, GPR119...).

CB1 est en majorité exprimé dans le système nerveux central et périphérique (cellules nerveuses et cellules gliales). On trouve également de l'ARN messager de CB1 dans certains tissus périphériques (testicules, utérus, système immunitaire, intestin, vessie, cellules de la rétine, poumon...) à un niveau d'expression bien plus faible que dans le cerveau.

CB2 s'exprime lui dans les cellules du système immunitaire (leucocytes, mastocytes, ganglions lymphatiques...) même si, pour lui aussi, son ARN messager peut être détecté dans d'autres tissus (moelle osseuse, foie, placenta... et également système nerveux central et périphérique).

Ces localisations multiples expliquent sans doute l'ubiquité des utilisations potentielles du CBD dans le domaine médical.

Le système endocannabinoïde participe à la régulation d'un grand nombre de fonctions, de processus physiologiques et physiopathologiques. On peut citer, par exemple, l'apprentissage, la perception des informations sensorielles, notamment nociceptives, la reproduction, le comportement psychomoteur, la mémoire, les cycles de veille et de sommeil, la régulation du stress, etc.

Les publications s'accordent sur le fait que l'activation des récepteurs CB1, cible principale du THC, est plutôt responsable des effets psychotropes des cannabinoïdes alors que celle des récepteurs CB2 confère leurs effets immunomodulateurs.

S'il se fixe préférentiellement sur les récepteurs CB2, le CBD pourrait aussi se fixer sur d'autres systèmes récepteurs. Ainsi, si le CBD n'a que très peu d'affinité avec les récepteurs cannabinoïdes, il agirait en réalité par une vingtaine d'autres mécanismes d'action.

Les scientifiques ont établi l'existence d'un « effet d'entourage » lié aux interactions entre les phytocannabinoïdes entre eux et avec les terpènes (précurseurs communs, les phytocannabinoïdes étant des composés terpénophénoliques). Ces effets sont cependant complexes et encore très peu étudiés.

Des études ont notamment montré que le CBD pouvait réduire ou antagoniser certains effets du THC.

USAGE DU CBD EN MÉDECINE VÉTÉRINAIRE

Même si des publications vétérinaires sur l'utilisation du CBD commencent à apparaître 5, les usages de cette molécule chez les animaux de compagnie sont essentiellement extrapolés de la médecine humaine.

Deux principaux champs d'application ont émergé : la lutte contre la douleur chronique, notamment arthrosique et l'aide à la prise en charge de certains comportements gênants via l'impact globalement positif du CBD sur le système nerveux.

Epilepsie et troubles anxieux sont deux indications principales du CBD en neurologie.

Chez l'Homme, le CBD a en effet démontré une efficacité dans le traitement de l'épilepsie dans plusieurs essais cliniques qui ont conduit à la mise sur le marché de la spécialité Epidiolex ND, premier médicament à base de cannabis à avoir été légalisé aux Etats-Unis, en 2018.

Chez l'animal, si le CBD n'a pas d'effet sur la fréquence cardiaque et la pression sanguine dans des conditions normales, des études sur des animaux volontairement soumis à des situations stressantes ont montré que cette substance pouvait diminuer la valeur de ces deux paramètres 4.

Les effets anxiolytiques du CBD chez l'animal ont été rapportés dès 2012 dans un article qui s'est intéressé à ces propriétés à la fois chez l'Homme et chez divers modèles animaux (rats et souris) 6. Il mentionne des preuves solides montrant l'implication du système sérotoninergique dans l'action anxiolytique du CBD. Les auteurs précisent que cette action anti-stress ne s'accompagne d'aucun effet psychoactif et n'affecte pas la cognition.

Les effets toxiques potentiels du CBD ont d'ailleurs été très étudiés et leur niveau a été évalué relativement bas, même à fortes doses (10 mg de CBD/kg 7).

De même, les études animales n'ont pas mis en évidence d'induction de dépendance au CBD, contrairement au THC.

Les études actuelles dans le domaine vétérinaire visent à évaluer l'efficacité et l'innocuité des produits à base de CBD utilisés de manière responsable et dans le cadre d'un plan de traitement multimodal. Les résultats leur sont très favorables.

Les vétérinaires peuvent donc être rassurés quant à la sécurité d'utilisation de ces produits.

Le CBD véhicule par ailleurs une connotation naturelle de bon ton aux yeux des propriétaires et la recommandation d'une telle molécule suscite généralement d'emblée leur adhésion.

A noter que le THC, en plus d'être interdit, est toxique à forte dose pour les animaux de compagnie qui y semblent beaucoup plus sensibles que l'Homme en raison d'un nombre particulièrement élevé de récepteurs CB1. Tous les praticiens ont l'expérience de chats et de chiens qui convulsent après ingestion de quantités importantes de « haschich ».

INDICATIONS EN MÉDECINE DES COMPORTEMENTS

Le domaine clinique d'utilisation du CBD le plus exploré en médecine humaine est l'épilepsie dans lequel la substance a démontré une efficacité pour au moins certaines formes de la maladie. 

L'utilisation du CBD dans cette indication est basée sur des études chez l'animal datant des années 70, approfondies ensuite par des études chez l'Homme.

L'intérêt du CBD dans la lutte contre l'épilepsie canine a ensuite été spécifiquement étudié et une expérimentation 8 notamment a montré une réduction significative de la fréquence des crises chez les chiens ayant reçu du CBD à raison de 2,5 mg/kg deux fois par jour pendant douze semaines, en supplément d'un traitement anti-épileptique classique, en suggérant d'augmenter le dosage pour une meilleure efficacité.

Une autre expérimentation 9 justifie cette indication en confirmant que le système endocannabinoïde est altéré chez les chiens atteints d'épilepsie idiopathique.

En médecine vétérinaire, des retours d'expérience positifs sont également rapportés pour diverses affections ou situations et notamment les cas d'anxiété, de troubles du sommeil, d'hyperactivité, d'agressivité, de troubles séniles ou de syndrome confusionnel chez le chien et le chat.

L'intérêt du CBD dans la gestion de l'anxiété s'objective sur le terrain mais peu d'études 6 l'ont analysé chez l'animal. Elles sont par contre nombreuses chez l'Homme et valident le CBD dans cette indication 10.

En phase avec une préoccupation sociétale majeure qui est même en passe de trouver une traduction dans le domaine législatif avec une loi contre la maltraitance animale qui sera vraisemblablement adoptée au cours de l'année 2021, l'utilisation du CBD chez l'animal se raisonne aussi dans une optique de bien-être animal. L'usage du CBD chez les chiens arthrosiques permet aux animaux de retrouver un meilleur confort de vie et d'accroître leurs activités quotidiennes, sans effets secondaires notables 11. Il en est de même chez les animaux cancéreux, dans une optique d'augmentation du temps de survie et d'amélioration de la qualité de vie. Une étude notamment 12, sur modèle souris, a montré l'intérêt de coupler l'usage du CBD à la radiothérapie.

En humaine, le CBD est utilisé dans la gestion des troubles du sommeil et il est raisonnable de penser qu'il peut en être de même chez le chien et le chat, surtout chez les individus âgés qui peuvent pâtir d'altérations du rythme circadien de l'alternance veille-sommeil.

QUELLE UTILISATION EN PRATIQUE ?

Les doses de CBD à préconiser sont à adapter à chaque cas particulier, en fonction de données spécifiques à l'animal et en recueillant toujours l'assentiment de son propriétaire pour garantir la bonne observance.

Le CBD peut s'administrer seul ou en complément d'un traitement allopathique, concomitamment ou en relai.

Il est préférable de commencer à faible dose pour augmenter progressivement jusqu'à obtenir l'effet souhaité (de 0,5 mg/kg jusqu'à 20 mg/kg, en au minimum deux prises par jour). Ces doses ne génèrent pas d'effets secondaires sérieux, les seuls rapportés étant des diarrhées transitoires, une élévation des phosphatases alcalines (sans modification des taux d'acides biliaires) et une désinhibition de certains comportements.

Un protocole fréquemment observé est d'administrer le produit à raison de 2 mg/kg deux fois par jour pour la gestion de l'anxiété ou de la douleur chronique notamment et de 2,5 mg/kg deux fois par jour pour celle de l'épilepsie, en complément du traitement habituel. Néanmoins, de nombreux vétérinaires et propriétaires observent une efficacité à doses moindres et il semble envisageable d'initier la supplémentation à la dose de 0,3 mg/kg de CBD deux fois par jour puis de l'augmenter progressivement 5.

Cependant, chaque individu ayant son propre système endocannabinoïde, il importe de trouver la dose la plus adaptée à un animal donné et pour cela d'inciter les propriétaires à un suivi vétérinaire régulier du chien ou du chat qui reçoit ces produits, pour ajuster la dose en fonction de sa réponse et obtenir l'effet de soulagement souhaité, comme le préconise le comité d'experts sur la pharmacodépendance de l'Organisation mondiale de la santé animale 3.

Les études vétérinaires n'ont montré aucune interaction médicamenteuse significative en contexte clinique quand les produits à base de CBD sont utilisés en association avec un AINS ou un traitement anticonvulsivant 8,11.

Chez les animaux, l'administration transmucosale est la voie à privilégier et les premiers effets apparaissent en 24-48 heures environ. La forme galénique en huile est donc particulièrement adaptée aux carnivores domestiques. 

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

1.Site Internet : www.drogues.gouv.fr/actualites/cannabidiol-cbd-point-legislation

2.Inserm (dir.). Cannabis : Quels effets sur le comportement et la santé?. Rapport. Paris : Les éditions Inserm, 2001, XII- 429 p. - (Expertise collective). - http://hdl.handle.net/10608/171

3. Cannabidiol (CBD), Critical Review Report, Expert Committee on Drug Dependence, Fortieth Meeting, Geneva, 4-7 June 2018, World Health Organization

4.Sultan, S.R. et al., A systematic review and meta-analysis of the haemodynamic effects of Cannabidiol, Frontiers in pharmacology, 2017.

5.Trina Hazzah et al., Cannabis in veterinary medicine : a critical review, AHVMA Journal, volume 61, winter 2020.

6.Mello Schier et al., Cannabidiol, a Cannabis sativa constituent, as an anxiolytic drug, https://doi.org/10.1590/S1516-44462012000500008, Rev. Bras. Psiquiatr. vol.34 supl.1 São Paulo June 2012

7.Alan Chicoine et al., Pharmacokinetic and Safety Evaluation of Various Oral Doses of a Novel 1:20 THC:CBD Cannabis Herbal Extract in Dogs, https://doi.org/10.3389/fvets.2020.583404, Frontiers in Veterinary Science, 29 sept 2020

8. Stephanie McGrath et al., Randomized blinded controlled clinical trial to assess the effect of oral cannabidiol administration in addition to conventional antiepileptic treatment on seizure frequency in dogs with intractable idiopathic epilepsy, https://doi.org/10.2460/javma.254.11.1301, Journal of the American Veterinary Medical Association, June 1, 2019, Vol.254, No 11, Pages 1301-1308.

9.Felix K Gesellet al., Alterations of endocannabinoids in cerebrospinal fluid of dogs with epileptic seizure disorder, BMC Vet Res. 2013, 9 : 262, published online 2013 Dec 26, doi : 10.1186/1746-6148-9-262

10.Blessing E.M. et al., Cannabidiol as a potential treatment for anxiety disorders, Neurotherapeutics, 2015; 12(4) : 825-836.

11.L.J. Gambleet al., Pharmacokinetics, safety and clinical efficacy of cannabidiol treatment in osteoarthritic dogs, https://doi.org/10.3389/fvets.2018.00165, Front. Vet. Sci., 23, July 2018

12.Yasmin-Karimet al., Enhancing the Therapeutic Efficacy of Cancer Treatment With Cannabinoids, https://doi.org/10.3389/fonc.2018.00114, Front. Oncol., 24 April 2018

Article paru dans La Dépêche Technique n° 184

Envoyer à un ami

Mot de passe oublié

Reçevoir ses identifiants