Bruno Ferreira, DGAL : « les vétérinaires doivent apporter leur pierre à l'édifice »

L'attractivité des métiers exercés à la campagne et le renouvellement des générations sont une priorité pour le ministre de l'Agriculture, rappelle Bruno Ferreira.

© Cheick Saïdou/agriculture.gouv.fr

Entretien

En poste depuis un an, Bruno Ferreira, directeur général de l'alimentation, a affronté une crise sanitaire inédite et a été partie prenante de mesures concernant directement les vétérinaires, comme l'autorisation temporaire de la télémédecine. Les vétérinaires sont également des acteurs à part entière de plusieurs dossiers gérés au niveau ministériel, comme le maintien du maillage territorial ou l'application de la loi de santé animale. Le directeur général de l'alimentation attend de la profession qu'elle s'implique et soit force de proposition.

La Dépêche Vétérinaire : Quels enseignements tirez-vous de la crise de la Covid-19 ?

Bruno Ferreira, directeur général de l'alimentation (DGAL) : La crise Covid a remis sur le devant de la scène un principe bien connu des vétérinaires : One health (une seule santé), une approche développée depuis plus d'un siècle et qui rappelle que la santé humaine, la santé animale et environnementale sont étroitement liées. 

La FAO* le rappelait encore récemment : 60 % des maladies humaines infectieuses connues sont d'origine animale, ainsi que 75 % des maladies humaines émergentes. Le lien entre santé animale et santé humaine est fort et la société dans son ensemble en prend progressivement conscience. Le succès du programme EcoAntibio, pour citer un exemple récent, peut en témoigner.

Je retiens de cette crise l'esprit de responsabilité et la réactivité dont ont fait preuve les professionnels de tous les secteurs d'activité et au premier chef les vétérinaires.

Durant les trois mois de confinement, il a fallu que la ferme France continue de fonctionner pour alimenter nos concitoyens et entretenir les espaces. Les vétérinaires, aux côtés de la DGAL, ont su adapter leurs pratiques pour préserver à la fois la santé animale et la santé publique de notre pays. Je tiens à le saluer. Nous avons su avancer ensemble, de manière concrète, et je m'en félicite.

D.V. : Vous évoquez le travail partenarial public/privé. Pensez-vous à un exemple en particulier ?

B.F. : Oui, celui de la télémédecine. Je sais que le sujet a suscité des interrogations et des inquiétudes mais, grâce à la mobilisation collective des vétérinaires et à un vote unanime du Cnopsav**, le décret autorisant l'expérimentation du dispositif durant 18 mois a été adopté en un temps record au début du mois de mai. La crise aura joué un rôle d'accélérateur sur un sujet porté depuis de nombreuses années par la profession...

Aujourd'hui, grâce au dispositif de télémédecine, les vétérinaires peuvent réaliser des consultations à distance et recourir à des expertises via des outils numériques. Et cessons les faux débats : la télémédecine ne se substitue en aucun cas à l'obligation de permanence et de continuité de soins.

Il est désormais important que les praticiens saisissent l'opportunité et testent la boîte à outils mise à leur disposition, outils de notre temps. Donnons-nous la possibilité de juger sur pièce ! Et c'est de concert - j'insiste sur ce point - que nous tirerons, dans un an et demi, les enseignements de l'expérimentation. Il sera temps alors de décider collectivement s'il est souhaitable de poursuivre ou non la télémédecine ou de la faire évoluer.

Le suivi sanitaire permanent est un enjeu majeur et la DGAL a besoin de l'implication forte de la profession vétérinaire pour avancer sur le sujet mais aussi de celui des éleveurs. Le partenariat public/privé doit se poursuivre.

D.V. : Quelles sont les mesures à prendre pour maintenir le maillage vétérinaire ?

B.F. : Je veux rappeler tout d'abord que l'attractivité des métiers exercés à la campagne et le renouvellement des générations sont une priorité pour le ministre de l'Agriculture.

Depuis plusieurs années, le ministère est engagé pour favoriser l'installation des vétérinaires en zone rurale et je vous donnerais trois exemples concrets pour illustrer mon propos :

- depuis 2012, le nombre de places offertes annuellement a augmenté de 35 % dans les quatre écoles nationales vétérinaires ;

- les élèves peuvent désormais se familiariser avec la réalité du monde agricole grâce à des programmes adaptés et à des stages tutorés de longue durée en entreprises vétérinaires qui leur permettent de découvrir la relation éleveur-vétérinaire et de se familiariser avec la vie dans les territoires ruraux ; cette action en particulier est financée par la DGAL ;

- à compter de la rentrée 2021, les élèves pourront s'orienter en école vétérinaire directement après le Bac ; cette réforme facilitera le recrutement des élèves de profil sociologique plus divers.

Par ailleurs, et vous le savez comme moi, une partie du combat se joue à l'échelle de l'économie de l'élevage dans les départements, car la crise de vocations est aussi le symptôme de la perte de vitesse de la vitalité économique des territoires. Le sujet est complexe et la solution sera multiple.

D.V. : Des soutiens sont-ils envisageables pour maintenir le maillage vétérinaire ? Pensez-vous que la Pac puisse également jouer un rôle ?

B.F. : La précédente feuille de route de 2016 était très complète, très dense, sans doute trop. Nous avons décidé à mon arrivée, et en plein accord avec les représentants de la profession vétérinaire et du monde agricole, de resserrer cette feuille de route sur des actions structurantes pour concentrer nos énergies collectives sur ce qui aura le plus d'effet positif sur le maillage vétérinaire.

Le levier financier est un levier parmi d'autres et le gouvernement ne le néglige pas. Un projet de loi vise à offrir la possibilité aux collectivités locales de financer des dispositifs de soutien à l'installation et au maintien des vétérinaires en milieu rural. Ce projet est à l'heure actuelle à l'étude pour voir le jour le plus rapidement possible. C'est une bonne chose et le ministère de l'Agriculture soutient fortement cette mesure.

Mais la clé est loin d'être uniquement financière. Il est important que les vétérinaires s'emparent des outils en cours de développement ou d'expérimentation. Je pense notamment au projet de base de données Calypso qui facilitera l'activité de partenariat entre les vétérinaires et les services du ministère de l'Agriculture et offrira in fine de meilleures conditions de travail et par conséquent des gains de temps et de productivité. 

Comme je le disais précédemment, le sujet du suivi sanitaire permanent est bien identifié et les travaux débuteront à la rentrée. Mais, sur ce point précis, je tiens à appeler l'attention des responsables vétérinaires sur le fait que tout ne sera pas réglé par la loi. Il faudra également convaincre les éleveurs et leurs représentants de l'intérêt de ce suivi et réinventer la relation vétérinaire-éleveur. La DGAL prendra sa part de responsabilité mais il est important que les vétérinaires, à tous les niveaux que ce soit, puissent apporter leur pierre à cet édifice.

Nous travaillerons ensuite sur la délégation des actes, chantier attendu également avec des enjeux variables en fonction de la nature de l'activité des vétérinaires.

D.V. : Dix ans après la tenue des Etats généraux du sanitaire, quel bilan faites-vous ? Comment voyez-vous l'avenir de la performance sanitaire française ?

B.F. : La prévention est aujourd'hui reconnue comme un des piliers de la gestion sanitaire. Nous avons beaucoup combattu pour cela et je me félicite que la loi européenne « santé animale », qui entrera en vigueur en avril 2021, fasse de la prévention sa colonne vertébrale. Elle redistribue les cartes en matière de surveillance, prévention, lutte des maladies animales (animaux de rente et de compagnie) et les vétérinaires y ont naturellement une place centrale car ils sont les acteurs de la prévention, de la biosécurité et de la performance sanitaire de l'élevage français.

Il est important, sur ce sujet national, comme sur les sujets européens, que les vétérinaires soient force de proposition et s'organisent collectivement. La mise en oeuvre de la loi nécessitera de nombreux textes d'application et les pouvoirs publics auront besoin de recueillir les propositions des professionnels.

S'agissant des Etats généraux du sanitaire (EGS), il est nécessaire de regarder attentivement ce qui a marché et ce qui n'a pas fonctionné. Le nouveau cadre européen nous oblige également à revoir certaines des propositions des EGS pour les rendre plus simples et plus opérationnelles, au bénéfice de tous.

Si la crise actuelle est dramatique, elle ouvre la porte sur une période exaltante et mobilisatrice. Les relations Homme-animal-environnement et les enjeux sanitaires sont placés au coeur des enjeux de notre société et il nous faut aujourd'hui construire un monde nouveau, plus sûr, plus résilient, plus durable. One health est une des clefs de cet avenir commun.

Je sais que je peux compter sur les vétérinaires pour relever ce défi avec les pouvoirs publics.

* FAO : Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture.

** Cnopsav : Conseil national d'orientation de la politique sanitaire animale et végétale.

Article paru dans La Dépêche Vétérinaire n° 1536

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