Biodiversité et épidémie, une question de danger, d'exposition et de vulnérabilité
Samedi 27 Juin 2020 Biodiversité-Faune sauvage 36926Hélène SOUBELET
Nous vivons actuellement une pandémie qui constitue un véritable bouleversement de nos sociétés. Or de nombreux chercheurs, à commencer par ceux qui ont travaillé sur l'épidémie à coronavirus en 2002-2003 ou ceux qui travaillent sur les grippes aviaires avaient déjà alerté sur le risque de nouvelle émergence.
Les facteurs de risques sont aujourd'hui relativement bien décrits. Une synthèse, fruit du travail de 41 experts, publiée le 15 mai 2020 sur le site de la Fondation pour la recherche sur la biodiversité pose et répond à 22 questions (cf. encadré 1, page suivante) sur les liens entre épidémies et biodiversité (FRB, 2020).
Depuis 50 ans, le nombre d'épidémies augmente dans le monde, avec en moyenne environ deux à trois nouveaux agents infectieux émergents par an. Si l'augmentation de la fréquence des épidémies ne fait pas de doute, et ce, même en tenant compte de l'augmentation de l'effort de surveillance (Morand et Lajaunie, 2017), de grands progrès restent à faire pour atténuer les biais dans la caractérisation de certaines pathologies.
Il reste notamment la question des maladies négligées peu étudiées (dont certaines zoonoses : cysticercose à T. solium, échinococcose, leishmaniose, rage, forme zoonotique de la trypanosomiase africaine ou maladie du sommeil) et de l'utilisation de certaines techniques, notamment le séquençage moléculaire, qui détecte la présence d'ADN, mais pas nécessairement un pathogène viable.
L'augmentation des épidémies constaté depuis 50 ans est la combinaison de trois facteurs : le danger, l'exposition et la vulnérabilité. Le risque, pour les individus ou les populations, est la probabilité de développer une maladie, il est lié à ces trois facteurs.
PRÉSENCE DE DANGERS
Le danger, c'est-à-dire le germe ou la maladie associée, est dépendant des pathogènes, de leur capacité à franchir les barrières d'espèces (les virus à ARN ou ceux se répliquant dans le cytoplasme des cellules sont particulièrement compétents pour cela), de la présence d'hôtes réservoirs et d'éventuels vecteurs.
Il existe une corrélation claire entre la richesse en biodiversité et la richesse en microorganismes. A ce titre, les points chauds de biodiversité (biodiversity hot spot en anglais), comme les zones intertropicales, sont les plus susceptibles d'héberger de nouveaux pathogènes. Cependant, la perturbation des écosystèmes, notamment des écosystèmes forestiers, bouleversent les interactions biologiques entre les pathogènes et leurs hôtes : l'environnement épidémiologique est modifié, ce qui peut favoriser de nouvelles occurrences infectieuses.
Ainsi, de façon un peu paradoxale, ce sont les zones où la biodiversité est la plus menacée qui sont aussi celles où le nombre d'épidémies est le plus grand, il y a moins de dangers, mais plus de risques.
Certains groupes d'animaux présentent plus de dangers, notamment ceux qui présentant une forte proximité génétique et physiologique avec l'espèce humaine (mammifères - primates tout particulièrement -, mais aussi d'autres vertébrés homéothermes comme les oiseaux) et ceux qui ont une longue histoire de cohabitation avec l'espèce humaine : animaux domestiques (Suidae notamment), commensaux et gibier. Ainsi, le nombre de virus zoonotiques augmente avec l'ancienneté de la domestication des espèces domestiques et l'abondance des populations de mammifères adaptées aux environnements anthropisés.
A noter que la virulence du pathogène est aussi un élément du danger et que les changements d'hôtes peuvent constituer des situations de disruption des coévolutions hôtes-pathogènes et donc favoriser des émergences de maladies aux formes sévères (Jorgensen et al. 2019. Annu. Rev. Ecol. Evol. Syst.).
AUGMENTATION DE L'EXPOSITION INDIVIDUELLE ET COMMUNAUTAIRE
Le volume et la fréquence des contacts des populations avec la faune sauvage déterminent l'exposition individuelle ou collective.
Le contact entre un humain et un éventuel pathogène est favorisé lorsque l'homme s'approprie de nouveaux espaces ou lorsqu'il prélève la biodiversité sauvage.
Dans un contexte de croissance démographique humaine et d'augmentation des niveaux de consommation individuels, l'appropriation de nouveaux espaces, pour satisfaire les besoins humains, est principalement lié à la déforestation (qui se trouve fortement corrélée à la multiplication des zoonoses en Asie, en Afrique et en Amérique du sud). Elle augmente les contacts entre les animaux sauvages et donc le transfert de pathogènes vers les humains ou leurs animaux domestiques et facilite les activités à risque, par exemple le braconnage, la chasse, la mise en captivité et le commerce d'animaux.
Depuis la seconde guerre mondiale, les humains ont augmenté leur mobilité de 5600 % grâce au développement sans précédent des infrastructures et plus généralement les transports de biens et de personnes (Morand, 2020).
La déforestation et les infrastructures associées augmentent la présence humaine dans les forêts et facilitent les contacts entre les hommes et les pathogènes, le déplacement des hôtes réservoirs ou intermédiaires et les transmissions interhumaines.
L'urbanisation est également un facteur d'exposition majeur, par la promiscuité qu'elle engendre, dans certaines situations, entre les hommes ou avec les animaux commensaux et domestiques. Les villes sont ainsi des sites d'émergence et de dissémination des maladies, notamment aux lisières entre les villes et les forêts. C'est le cas pour les arboviroses, la trypanosomiase, le virus Ebola, la peste, le typhus, la leptospirose et le coronavirus. Par ailleurs, la connexion des espaces verts urbains avec les zones naturelles peut favoriser le déplacement des pathogènes et de leur hôtes ou vecteurs jusqu'au coeur des villes.
L'augmentation concomitante de la taille des élevages avec une forte densité, du stress et une homogénéisation génétique favorise un emballement lors d'émergence de pathogènes. Dans les pays émergents, le risque est plutôt corrélé aux changements d'échelles entre les petits élevages familiaux et les élevages de tailles intermédiaire alors que dans les pays occidentaux, le risque est plutôt corrélé aux élevages intensifs et l'homogénéité génétique associée.
La présence de l'homme peut aussi engendrer un stress chez les animaux sauvages et modifier leurs comportements. Par exemple, la disparition de leur habitat ou la raréfaction de leur source de nourriture peut conduire les animaux à se rapprocher des humains, comme ce fut le cas pour l'épidémie à virus Nipah qui a causé une centaine de morts. Les conditions de stress liées à la capture et détention des animaux pourraient aussi augmenter le risque de transmission de pathogènes.
Enfin, le changement climatique pourrait jouer un rôle majeur à l'avenir dans la transmission des pathogènes en modifiant la reproduction ou la survie de ces pathogènes, la modification de la distribution de leurs hôtes ou de leurs vecteurs ou par la modification du mode de transmission.
VULNÉRABILITÉ DES INDIVIDUS ET DES POPULATIONS
Si la clé de l'émergence d'une zoonose reste le contact direct ou indirect entre le réservoir domestique ou sauvage du pathogène et l'homme, le contact lui-même ne suffit pas : il est fort probable que nombre d'entre-eux se soldent par des échecs.
La réussite du passage de l'animal à l'homme est plus probable lorsque la vulnérabilité de l'individu est forte.
Cette vulnérabilité a une composante génétique qui concoure pour 6% à 24% au risque. Mais les facteurs les plus déterminants sont les facteurs physiologiques et l'organisation socio-économique (cf. encadré 2).
Les populations denses, pauvres et en mauvaise santé et un système de santé défaillant sont donc les terrains les plus favorables pour que la zoonose devienne épidémique.
Ainsi, les nombreux évènements épidémiques documentés en Asie du sud-est et plus largement dans les régions de forêts tropicales, sont dus à une grande concentration humaine vulnérable (en raison d'une pauvreté chronique et de systèmes de santé peu efficaces), proche de zones de forte biodiversité qui subit des pressions en raisons de pratiques et usages de consommation et d'occupation des écosystèmes naturels.
Les scientifiques prédisent une évolution comparable en Afrique de l'Ouest et centrale ou en Méso-Amérique et Amérique du sud avec le développement des villes en contacts avec les zones de réservoirs de micro-organismes et une plus grande exploitation des biomes naturels et de leur biodiversité.
COMMENT PRÉVENIR LES ÉPIDÉMIES ?
Réagir à l'épidémie lorsqu'elle est présente, est essentiel (mesures de confinement, arrêt des déplacements de populations, arrêt de l'activité économique), mais être en capacité de la prévenir, couterait beaucoup moins cher, en terme financier et de vies humaines.
L'élimination à large échelle et systématique du danger (c'est-à-dire des taxons porteurs d'agents zoonotiques) est illusoire et dangereuse. Plusieurs échecs antérieurs, par exemple pour la rage, l'échinococcose ou le virus de Marburg en Ouganda en 2008, démontrent que l'effet de perturbation induit par les tentatives de destruction de certaines espèces conduisent parfois à augmenter le risque de maladie.
Il est possible de réfléchir sur les deux autres composantes du risque : l'exposition et la vulnérabilité.
La première mesure est d'augmenter les capacités médicales pour permettre une bonne prise en charge des malades.
Il est également souhaitable de mettre en place des législations sur la chasse, illégale ou non, les marchés d'animaux vivants, le commerce des nouveaux animaux de compagnie, la destruction des écosystèmes, les activités touristiques.
Il convient aussi de renforcer les mesures de gestion, par exemple des déchets pour éviter d'attirer les animaux sauvages à proximité des habitations, de travailler, en fonction des contextes locaux, sur les tailles des élevages et les mesures de biosécurité associées et de mieux prendre en compte les conséquences éco-épidémiologiques des stratégies de gestion/régulation, notamment les conséquences évolutives (évolution de la virulence ; conséquences sur la diversité génétique et immunogénétique, sur la réponse immunitaire ...).
Il est également recommandé, pour limiter les contacts hommes/faune sauvage, de préserver des zones suffisantes avec des activités et une présence humaines réduites, voire absentes. Ceci peut se faire par la création de nouvelles aires protégées, l'expansion des aires existantes ou surtout le renforcement de leur niveau de protection en concertation avec les populations locales et en fonction des contextes territoriaux.
Il est important de renforcer l'éducation des populations sur la biodiversité en général et les risques associés aux zoonoses en particulier. On estime par exemple que la transmission de pathogènes par la consommation de viande de brousse est actuellement sous-estimée et que les consommateurs sont peu informés des risques ou des mesures de gestion sanitaire qui pourraient être prises pour limiter les risques.
Enfin, il est nécessaire de combiner des approches prédictives pour cibler efficacement des organismes à surveiller (réservoir d'agents zoonotiques connus ou probables) et des zones géographiques où sont susceptibles de survenir des ruptures d'équilibres dans les écosystèmes, en raison du développement non raisonné de l'agriculture, de l'élevage, de l'urbanisation.
Il est ainsi important de développer des méthodes de détection des signaux faibles et des anomalies (clinique, épidémiologique, etc.) annonciateurs du démarrage d'une épidémie chez l'espèce humaine ou les animaux domestiques. Une surveillance intégrée de la santé humaine, animale et environnementale mettrait en pratique le concept One health qui pourrait alors faire réellement ses preuves.