BI Journée mondiale des vétérinaires

Anticorps monoclonaux : une révolution thérapeutique en marche

Cocker atopique avec surinfection par des levures (Malassezia). Le prurit est intense (évalué à 10/10 sur une échelle visuelle analogique). Les corticoïdes sont contre-indiqués. En complément du traitement antifongique, deux injections de lokivetmab sont réalisées à T0 et T0 + 1 mois.

© Arnaud Muller

Arnaud MULLER

Éric GUAGUÈRE

Dip. ECVD

Clinique Saint-Bernard

(59 Lomme)

Dermatologie

Avancée pharmacologique et thérapeutique, les anticorps monoclonaux ont fait leur apparition dans l'arsenal thérapeutique vétérinaire. Le lokivetmab est notamment indiqué dans la prise en charge multimodale de la dermatite atopique canine. Efficacité, praticité et innocuité en font des molécules d'avenir.

Aujourd'hui, en médecine humaine comme vétérinaire, les anticorps monoclonaux (AcM) sont considérés comme l'un des plus importants progrès pharmacologique et thérapeutique des 25 dernières années. L'avancée technologique majeure qu'a constituée la mise au point de leur production a d'ailleurs valu le prix Nobel de médecine à Jerne, Köhler et Milstein en 1984.

Ces AcM appartiennent à ce qu'on appelle les biothérapies qui, par définition, diffèrent des médicaments traditionnels par le fait qu'ils « miment » la réponse immunitaire normale. Ces biomédicaments sont divisés en 3 catégories : les peptides et petites protéines (cytokines et hormones), les protéines non immunitaires (enzymes et facteurs sanguins) et les anticorps thérapeutiques.

Produits en laboratoire

Un AcM thérapeutique est une molécule (immunoglobuline) produite en laboratoire (par des cellules en culture), qui reconnaît spécifiquement une cible thérapeutique (élément particulier d'un agent infectieux, cellule cancéreuse, cytokine...) pour s'y attacher et l'empêcher d'agir. Par son extrême précision, cette technique de thérapie ciblée permet une efficacité optimale et la plus grande innocuité (pas d'interaction avec d'autres cibles potentielles).

Une modification par génie génétique permet de les adapter strictement à l'espèce concernée (on parle, selon le cas, d'anticorps humanisés, caninisés ou félinisés) pour améliorer leur action et surtout éviter leur rejet par l'organisme. Une conséquence évidente est l'utilisation exclusive dans l'espèce visée.

Le mode d'action d'un AcM thérapeutique consiste soit à bloquer un processus (par fixation sur une molécule cible soluble (cytokine) comme pour le lokivetmab avec l'IL-31 ou le bedinvetmab (chien) et le frunévetmab (chat) avec le facteur de croissance nerveuse (NGF) ou par fixation sur un récepteur cellulaire par un mécanisme d'antagonisme), soit de détruire des cellules cibles (cytotoxicité de certains AcM anti-infectieux ou anti-cancéreux comme le blontuvetmab pour le lymphome B canin, utilisé en recherche oncologique), soit de stimuler une fonction biologique (cas de certains AcM anticancéreux humains).

Demi-vie très prolongée

Contrairement aux anticorps naturels, par essence polyclonaux et qui reconnaissent donc plusieurs épitopes sur un antigène, les AcM reconnaissent tous la même région-cible. Leur action pharmacologique se décompose donc en une liaison très spécifique à l'antigène-cible par sa région Fab (Fragment antigen binding) mais aussi une interaction avec le système immunitaire par sa région Fc (fragment cristallisable).

En outre, la liaison de Fc au récepteur FcRn confère aux AcM une demi-vie très prolongée, entre 4 et 31 jours selon les AcM, autorisant une administration à des intervalles de temps de 1 à 8 semaines. Les AcM étant des protéines, ils sont largement dénaturés par les enzymes digestives et ne peuvent donc être administrés oralement, d'où leur présentation uniquement injectable.

Le traitement de la dermatite atopique canine (DAC) est multimodal et comprend fréquemment un volet antiprurigineux. Dans la thérapeutique antiprurigineuse, une véritable révolution a ainsi été apportée ces dernières années par l'oclacitinib et le lokivetmab, molécules interagissant notamment avec l'interleukine 31 (IL-31).

Expression de kinases

L'IL-31 est une cytokine pro-inflammatoire, produite par les lymphocytes TH2, qui se fixe sur un complexe-récepteur composé de deux sous-unités, le récepteur A de l'IL-31 (IL-31RA) et le récepteur à l'oncostatine M (OSMR), exprimées par certaines cellules comme les kératinocytes, les mastocytes, les macrophages, les éosinophiles, les basophiles et certains neurones périphériques. La fixation extracellulaire de l'IL-31 entraîne notamment l'expression de kinases de la famille des JAK (Janus kinases), suivie de l'activation entre autres des voies métaboliques STAT1, STAT3 et STAT5.

On sait en outre que IL-31RA est plus particulièrement présent dans les ganglions spinaux dorsaux, où sont situés les corps cellulaires des neurones sensoriels cutanés. De nombreuses études récentes ont démontré que cette succession de réactions biologiques conduit au prurit et à l'inflammation cutanée d'origine allergique.

Le lokivetmab a été le premier AcM à obtenir, en 2017, une autorisation de mise sur le marché vétérinaire en Europe, pour le traitement de la dermatite atopique et des dermatites allergiques. Il s'agit d'un anticorps monoclonal caninisé anti-IL-31, qui se lie et neutralise spécifiquement l'IL-31 circulante, inhibant ainsi sa liaison à son récepteur cellulaire. Son spectre d'activité est plus étroit que celui de l'oclacitinib car il se fixe directement sur l'IL-31 et non sur les récepteurs des Janus kinases comme l'oclacitinib. Il n'a donc pas d'impact sur les autres cytokines qui empruntent ces mêmes récepteurs.

Action spécifique

En règle générale, le lokivetmab par son action spécifique anti-IL-31 agira aussi bien, voire mieux, que l'oclacitinib mais avec moins de risques d'effets secondaires (liés au blocage des récepteurs JAK et à la perturbation potentielle des autres voies métaboliques passant par ces récepteurs).

Ainsi, le lokivetmab peut être efficace même chez les chiens qui répondent peu ou pas à l'oclacitinib (mais l'inverse est parfois constaté). Dans l'étude la plus récente sur le lokivetmab (à 2 mg/kg SC tous les mois), 71 % des chiens n'ayant pas répondu correctement à l'oclacitinib ont vu leur prurit diminuer avec le lokivetmab. Cette même étude sur un an montre une amélioration du prurit chez 88 % des chiens, dans les 72 heures suivant l'injection pour 96 % d'entre eux (même dans les 24 heures pour 56 % des chiens).

Dans certaines situations particulières, on envisagera préférentiellement le recours au lokivetmab comme antiprurigineux :

- un chien de moins d'un an (oclacitinib limité aux chiens de plus d'un an) ;

- un chien présentant des infections graves, une démodécie ou une tumeur maligne active (contre-indications de l'oclacitinib et des corticoïdes) ; son efficacité dans un cas de lymphome cutané a été rapportée en 2022 ;

- l'impossibilité de diminuer la dose d'oclacitinib après les 15 jours d'initiation (coût plus élevé, observance plus difficile, effets secondaires potentiels sur un usage au long cours d'une dose plus élevée que celle recommandée dans l'AMM) ;

- un chien recevant déjà un antiparasitaire, un antibiotique, un antifongique, des corticoïdes, un antihistaminique, une immunothérapie ou de la ciclosporine car diverses études n'ont pas montré d'interférence avec le lokivetmab ; l'intérêt de ce dernier est également de ne pas ajouter une prise orale supplémentaire.

Effets secondaires limités

Les AcM étant très spécifiques et n'ayant pas d'action intracellulaire, leurs effets secondaires se limitent à ceux attendus et liés au blocage de la voie métabolique ciblée. Ils représentent donc généralement des substances beaucoup plus sûres que les médicaments traditionnels.

Le lokivetmab possède ainsi un bon profil d'innocuité à long terme avec des effets indésirables rares et mini­mes, principalement des troubles gastro-intestinaux et une léthargie (8 % des cas) dans les 72 heures suivant l'injection. On peut juste noter une diminution d'efficacité au long cours dans environ 2 % des cas, due à l'apparition d'une réaction immunologique.

Plus de 100 AcM chez l'Homme

Compte tenu de leur profil d'efficacité, de praticité et d'innocuité, gageons que les AcM vétérinaires verront leur nombre augmenter significativement dans les années qui viennent.

Ainsi, chez l'Homme, on décrit actuellement plus de 100 AcM commercialisés. Pour exemple, des anticorps monoclonaux reconnaissant des fragments de la protéine Spike, porte d'entrée du Sars-CoV-2 dans nos cellules, ont été développés pour limiter la sévérité de l'infection chez l'Homme. En octobre 2020, le président américain Donald Trump, atteint par la Covid-19, recevait d'ailleurs en urgence un traitement à base de ces anticorps monoclonaux.

Bibliographie sur demande auprès de La Dépêche Vétérinaire.

Article paru dans La Dépêche Vétérinaire n° 1670

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