Alpha2-agonistes en anesthésie vétérinaire en 2021 : n'oublions pas les bonnes pratiques
Mercredi 2 Juin 2021 Animaux de compagnie 40853Plusieurs molécules sont actuellement disponibles chez les carnivores domestiques.
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Géraldine JOURDAN
DMV, MSc, PhD
Maître de conférence en anesthésie-analgésie, école vétérinaire de Toulouse
Anthony BARTHELEMY
DMV, MSc, PhD
Clinique vétérinaire HOPia
Pour le Groupe d'étude en anesthésie et en analgésie de l'Afvac (les deux auteurs en font partie)
Les alpha2-agonistes gardent un intérêt majeur dans les protocoles anesthésiques du chien et du chat, notamment lors de la prémédication. Leurs nombreux effets indésirables imposent néanmoins d'en raisonner l'utilisation.
Dans son concept actuel et moderne, une anesthésie générale doit idéalement permettre d'obtenir conjointement chez l'animal trois valences : inconscience (ou narcose), myorelaxation et analgésie.
Actuellement, en médecine humaine comme vétérinaire, il n'existe pas de médicament unique permettant de remplir ces trois qualités essentielles. Le praticien se trouve donc dans l'obligation de combiner plusieurs médicaments afin d'atteindre cet objectif. Ce sont cette combinaison de produits à visée narcotique, myorelaxante et analgésique, leurs doses, les moments et voies d'administration respectives que l'on désigne sous le qualificatif de protocole anesthésique.
Dans ce contexte, les alpha2-agonistes gardent un intérêt majeur dans les protocoles anesthésiques du chien et du chat, notamment lors de la prémédication. Plusieurs molécules sont actuellement disponibles chez les carnivores domestiques : la xylazine, la médétomidine et la dexmédétomidine.
Utilisation limitée aux doses usuelles
Les alpha2-agonistes permettent ainsi d'obtenir conjointement une sédation, une myorelaxation et une analgésie dont la durée et l'intensité des effets sont dose-dépendants, ainsi qu'une excellente potentialisation des autres médicaments de l'anesthésie.
Cependant, la multitude et l'intensité de leurs effets indésirables cardiovasculaires (hypertension puis hypotension, brady-arythmies type BAV2) comme respiratoires (bradypnée, oedème aigu du poumon) limitent leur utilisation aux doses usuelles aux animaux dont le risque ASA est égal à 2. Des vomissements sont aussi régulièrement observés peu de temps après administration.
Théoriquement, la dose à administrer varie donc selon l'intensité et la durée des effets (sédatifs, analgésiques et myorelaxants) que l'on recherche.
Cependant, il convient de noter qu'avec le développement récent de spécialités morphiniques vétérinaires d'une part, et de l'anesthésie volatile d'autre part, les doses d'alpha2-agonistes aujourd'hui préconisées sont généralement drastiquement diminuées par rapport aux recommandations initiales issues des autorisations de mise sur le marché.
Pas d'utilisation systématique
Par exemple, en prémédication, la médétomidine est aujourd'hui recommandée à des doses variant entre 3 et 5 µg/kg par voie intraveineuse chez le chien lorsqu'elle est combinée avec un morphinique comme la méthadone ou le butorphanol, soit des doses 5 à 7 fois moindres que celles indiquées dans les RCP des médicaments concernés.
Dans le même ordre d'idée, en co-analgésie, médétomidine et dexmédétomidine peuvent être utilisées en microdose, en bolus (de 0.5 à 2 µg/kg, IV) et ou en perfusion continue (de 0.5 à 2 µg/kg/h, IV), ce qui limite mais n'annule pas complètement leurs effets sédatifs comme cardio-vasculaires.
Par ailleurs, de manière intéressante, les alpha2-agonistes peuvent être antagonisés. L'alpha2-antagoniste est généralement utilisé pour contrecarrer les effets sédatifs et les effets indésirables lorsqu'ils existent mais il faut cependant tenir compte du fait qu'il annule également l'analgésie et les effets myorelaxants, pouvant alors révéler des effets indésirables inhérents à d'autres médicaments utilisés conjointement (comme la kétamine).
En pratique, l'utilisation d'alpha2-antagonistes ne devrait jamais être systématique mais réservée seulement au traitement d'effets indésirables morbides.
En effet, les alpha2-antagonistes engendrent aussi des effets hémodynamiques propres (vasodilatation, brève et légère diminution de la pression artérielle, tachycardie) non négligeables chez certains patients à risque (hypovolémiques...).
Acte à risque
Enfin, le fait d'anesthésier un animal même sain doit toujours être considéré comme un acte à risque. En effet, des complications, pouvant aller jusqu'au décès, peuvent survenir chez tout type de patient, quel que soit son état de santé initial et le type de procédure qu'il subit.
Il convient donc de garder à l'esprit qu'anesthésier un animal ne se limite pas simplement à l'utilisation de médicaments même judicieusement choisis dans le cadre d'un protocole équilibré et adapté à l'état de santé de l'animal mais implique aussi le respect et la mise en oeuvre systématique de bonnes pratiques anesthésiques et ce, de la prémédication au réveil, afin de réduire au maximum le risque inhérent à cet acte :
- un examen clinique pré-anesthésique, suivi d'une réanimation adaptée si l'animal le nécessite ;
- une surveillance clinique continue des grandes fonctions vitales (cardiovasculaire, respiratoire et métabolique) ;
- des moyens de prévention des principaux risques anesthésiques tels que l'hypotension (voie veineuse permanente et sécurisée, fluidothérapie), l'hypoventilation (assurer la perméabilité des voies aériennes supérieures, oxygénothérapie), l'hypothermie et la nociception/douleur ;
- des moyens instrumentaux de diagnostic et de traitement des principales complications per-anesthésiques.
Au-delà des médicaments, ce n'est donc qu'au prix d'efforts humains et matériels qu'il est possible d'envisager toute anesthésie, y compris celles « à risque », non plus comme une épreuve subie à l'issue incertaine et souvent aléatoire mais comme un défi du quotidien à relever avec succès. ■