Adieu l'esprit famille et vive l'esprit d'équipe !

L'équipe, au contraire de la famille, se dessine un objectif commun.

© Andres Rodriguez-Fotolia.com

Pierre MATHEVET

Société Tirsev

Site Internet : www.Tirsev.fr

Management

Les entreprises vétérinaires emploient en majorité moins de dix salariés. Cette petite taille fait souvent dire aux salariés et associés des structures vétérinaires qu'il y règne une ambiance familiale. Ce discours est bien vécu car la notion de famille en entreprise véhicule des images positives - proximité, hiérarchie peu affirmée, bonne ambiance et capacité à s'entraider - mais ces réalités masquent des insatisfactions ou des frustrations. Le développement régulier des structures vétérinaires et leur complexité fonctionnelle croissante poussent à abandonner l'esprit de famille au profit de celui de l'équipe, qui a des avantages supplémentaires.

Il existe de nombreuses similitudes entre l'organisation en famille et l'organisation en équipe. Les deux possèdent un leader : le chef de famille est celui qui prend les décisions ou que l'on consulte en cas d'hésitations, de choix complexes. Peut-être joue-t-il aussi le rôle de sage ou de modérateur.

Nécessaire passé commun

Les deux structures sociales s'appuient également sur un nécessaire passé commun, des histoires vécues collectivement qui servent de ciment, de preuves d'appartenance à l'entité (nom de famille ou nom de la clinique) et de multiples anecdotes qui appartiennent à la mémoire collective, que chaque ancien aime à raconter lors des réunions, entretenant l'esprit de groupe pour les plus anciens et initiant les plus jeunes arrivés.

Ces deux organisations sont mouvantes au gré des départs et des arrivées des uns ou des autres. Elles ont vocation à faire grandir ceux qui les rejoignent, leur permettre de se développer. Ces deux groupes sociaux ont aussi également des règles de conduite partagées, un cadre (le cadre familial, les règles de fonctionnement de l'équipe), un système de valeurs.

Ils suivent enfin des rituels (repas de famille du dimanche ou journées de Noël pour l'un, café du matin partagé ou réunions d'équipe pour l'autre), où l'on se rend parfois avec plaisir, parfois par obligation.

La supériorité de l'équipe

Cependant, malgré ses nombreux points communs, il existe de profondes différences. En effet, le chef de famille est traditionnellement positionné au centre du cercle (le cercle familial). Il est soit autoproclamé, soit désigné par des règles familiales internes (le plus ancien, le père de famille, l'aîné des garçons ou des filles, ou celui issu de certaines branches) pas toujours très évidentes : les fameux secrets de famille.

Ce chef existe naturellement mais sans forcément avoir certaines compétences ou être jugé comme pertinent sur certaines autres par l'ensemble des membres de la famille alors que l'équipe possède, elle, un véritable leader, reconnu par l'ensemble des équipiers, de manière naturelle car ayant un certain nombre de compétences clés : l'empathie, la capacité à motiver et à entraîner les autres pour le bien de l'équipe.

L'équipe, au contraire de la famille, se dessine un objectif commun. Ce but à atteindre relie tous les équipiers, leur donne un sens, assure une cohésion entre tous, une source supplémentaire de solidarité, bien supérieurs à ceux d'une famille, où certains jouent facilement leur propre partition.

Bien sûr, toutes les histoires vécues au sein d'une équipe ne sont pas heureuses et positives mais les histoires familiales sont très souvent plus compliquées et tortueuses. Les tensions au sein des familles sont bien plus destructrices que celles au sein des équipes et les tristes sagas familiales aux multiples rebondissements, bien plus nombreuses.

Les rôles et responsabilités au sein de l'équipe sont clairement définis en amont. La légitimité des uns et des autres est ainsi parfaitement établie et reconnue. Là encore, il existe différentes raisons qui expliquent que les déchirements ou les règlements de compte sont plus fréquents dans les familles que dans les équipes.

La première est que l'on choisit ses équipiers, ses associés alors que comme le souligne la chanson, « On ne choisit pas ses parents, on ne choisit pas sa famille » . Il semble logique que le choix raisonné d'un collègue embauché débouche en général sur un résultat plus facile à vivre que pour un parent, imposé par l'histoire.

Réactivité et agilité

La seconde raison repose sur le fait que les membres de la famille sont immuables, fixés pour la vie entière. Il existe donc une obligation de s'accommoder à vie des membres de sa famille sauf à décider de ne plus côtoyer tel ou tel membre de la famille, ce qui est impossible dans une structure vétérinaire où les contacts sont très fréquents avec l'ensemble des collègues.

De son côté, l'équipe a la faculté de révoquer certains de ses membres, temporairement ou définitivement, ou d'en recruter de nouveaux avec des expériences ou des gènes très différents. Elle a la capacité de se créer, se renforcer, se développer rapidement, par exemple dans un environnement très porteur, ce qui est toujours plus compliqué pour une famille.

La réactivité et l'agilité de l'équipe sont ainsi bien supérieures, éléments très intéressants dans un monde en perpétuelle et rapide évolution.

Si les deux types d'organisations ont bien vocation à faire grandir, il existe une différence fondamentale : la mission de la famille est d'éduquer les enfants et les jeunes, dans une relation parent/enfant qui laisse peu de place à l'autonomie, la prise de risque, la capacité d'apporter des idées différentes et bouleverser le présent alors que l'équipe est là pour accompagner le développement de ses membres dans une relation équilibrée que l'on pourrait qualifier d'adulte/adulte comme le décrit l'analyse transactionnelle.

Elle est capable d'offrir un espace de discussion, d'échanges, d'initiatives, de droit à l'erreur sans jugement où le leader n'est ni le donneur d'ordre, ni même au centre du cercle.

Dans une position collaborative, bienveillante avec chacun, il est lui aussi sur le cercle, au même niveau que les autres équipiers. Il est vigilant à ce que les indispensables règles de bon fonctionnement en communauté soient établies collectivement, qu'elles soient justes, partagées et appliquées pour le bien de tous.

Ainsi la famille formate, impose son carcan, alors que l'équipe développe et enrichit les individus.

Transformation complexe

Le développement régulier des structures vétérinaires et leur complexité fonctionnelle croissante poussent ainsi à abandonner l'esprit de famille pour atteindre le niveau supérieur, celui de l'équipe.

C'est tant mieux, même si la transformation est complexe et nécessite souvent une remise à plat du fonctionnement initial car au-delà de certaines ressemblances, l'organisation en équipe creuse une différence positive par une capacité à se projeter collectivement dans le temps (vision et objectifs futurs communs) et développer de manière bien plus efficace les personnes et les compétences.

Même si la famille rassure et protège, l'équipe a les avantages supplémentaires de motiver, faire participer individuellement et collectivement à un projet et donner du sens au quotidien.

Article paru dans La Dépêche Vétérinaire n° 1443

Envoyer à un ami

Mot de passe oublié

Reçevoir ses identifiants