Abattage des visons d'élevage au Danemark : une mesure de précaution due à une mutation du Sars-CoV-2

Si on ne peut pas conclure pour le moment à un réel danger pour l'Homme (ou plutôt sur l'efficacité du vaccin futur), le principe de précaution a prévalu.

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Pr Jeanne BRUGERE-PICOUX

Membre de l'Académie nationale de médecine et de l'Académie vétérinaire de France

Santé publique

Le Danemark a décidé d'abattre la totalité de son cheptel de visons élevés sur son territoire, à cause d'une mutation du virus Covid-19 qui aurait été transmise à une douzaine de personnes, ont annoncé, le 4 novembre, les autorités du pays. Celles-ci justifient la mesure par le fait que cette mutation pourrait compromettre une protection vaccinale avec les vaccins en cours de développement. Les quatre élevages français font l'objet d'une surveillance accrue et étaient, au 16 novembre, indemnes.

La Covid-19 est une zoonose qui touche principalement l'Homme et dont l'origine est une chauve-souris, hôte d'un virus très proche du Sars-CoV-2 (plus de 96 % d'identité génétique), cependant dénué d'aptitude zoonotique directe entre la chauve-souris et l'Homme.

Il existe un hôte intermédiaire qu'il est capital de trouver afin de prévenir une prochaine crise sanitaire. A ce jour, aucune espèce animale pouvant avoir joué le rôle d'un hôte intermédiaire dans la transmission du virus à l'Homme, même si plusieurs espèces animales se sont révélées aussi sensibles à l'infection, qu'il s'agisse des animaux de compagnie (chiens, chats, furets, hamsters...) ou d'animaux élevés pour leur fourrure (visons, chiens viverrins), n'a été identifiée.

Les porcs et les volailles seraient résistants à cette infection virale.

Le vison, particulièrement sensible au Sars-CoV-2

Si la contamination de ces espèces animales est sporadique (ou expérimentale) et sans risque démontré pour l'Homme, il n'en est pas de même pour les visons en élevage.

La contamination rapide des visons dans un élevage s'explique aisément car l'on connaît la plus grande sensibilité des mustélidés (loutres, blaireaux, martres, zibelines, putois, fouines, visons, furets) aux virus à tropisme respiratoire. Par ailleurs, la forte densité animale dans un élevage de visons, réunis dans un bâtiment fermé favorisant la production d'aérosols infectants, permet une contamination virale rapide des animaux (rapidement, près de 100 % des animaux sont contaminés), voire du personnel de l'élevage.

Le Danemark, premier producteur mondial de visons, avec 1 138 fermes, a déclenché l'alarme, le 4 novembre, en annonçant qu'il abattait tous les troupeaux de visons du pays pour arrêter la propagation d'un virus Sars-CoV-2 mutant découvert dans cette espèce et qui a franchi la barrière d'espèce en contaminant l'Homme (12 cas humains répertoriés).

Le risque principal lié à cette mutation est de compromettre une protection vaccinale avec les vaccins en cours de développement. Un exemple similaire s'est produit avec la bronchite infectieuse aviaire due, elle aussi, à un coronavirus et pour laquelle il a fallu revoir les programmes de vaccination. Les scientifiques danois ont effectivement observé que les anticorps dirigés contre le virus Sars-CoV-2 chez les personnes convalescentes ne protégeaient pas complètement contre ce virus mutant.

Une infection virale dans les élevages danois très évolutive

Au Danemark, c'est en juin 2020 que les premiers cas de contamination vraisemblablement d'origine humaine sont déclarés dans trois fermes de visons qui sont alors éliminés par précaution.

La recherche du virus est alors décidée en juin au niveau national dans 10 % des troupeaux de visons, soit 125 fermes, et elle s'est révélée négative. Puis, une surveillance a été installée avec prélèvement d'échantillons toutes les 3 semaines à partir de la semaine 30. Un décret a été émis (décret 1172 du 17 juillet 2020 sur la Covid-19 chez les animaux à fourrure) pour prévenir l'infection des troupeaux de visons et une transmission éventuelle à l'Homme. 

Puis, une quatrième ferme est déclarée infectée le 14 août, 6 fermes étant touchées au 3 septembre.

Les Danois décident de pratiquer la dépopulation des fermes. Le 18 septembre, les autorités danoises s'inquiètent du risque de contamination du vison vers l'Homme et annoncent les premières mesures de biosécurité destinées à prévenir et à réduire la propagation de la Covid-19 chez les visons et l'Homme.

Le terme de « zones à risque », où l'on rechercherait une coïncidence entre une augmentation des cas humains dans les zones à forte densité de population de visons, est même utilisé.

Puis, comme aux Pays-Bas, alors que les Danois n'abattaient plus les visons des fermes infectées, le nombre de fermes atteintes s'accroît dangereusement (105 fermes au 19 octobre, 175 au 29 octobre et 205 fermes le 5 novembre) mais, au 28 octobre, le gouvernement n'envisage toujours pas l'élimination des élevages.

Ce n'est que peu de jours plus tard que le gouvernement changera d'avis en annonçant brutalement l'existence de virus mutants chez le vison ayant contaminé l'Homme et pouvant présenter un risque pour la santé publique, justifiant la décision drastique d'abattre près de 17 millions de visons, soit l'ensemble des fermes danoises.

Interrogations sur les risques réels

Les rapports publiés sur les mutations observées n'apportent pas actuellement de données scientifiques précises et de nombreux scientifiques s'interrogent sur le risque réel pour la santé publique.

C'est le cas de la virologue Marion Koopmans, responsable du service de virologie du Centre médical Erasmus de Rotterdam, aux Pays-Bas, où sont analysés la majorité des virus provenant des visons néerlandais. Mais si on ne peut pas conclure pour le moment à un réel danger pour l'Homme (ou plutôt sur l'efficacité du vaccin futur), le principe de précaution a prévalu.

La peur rencontrée lorsque le virus d'une espèce donnée peut infecter l'Homme, comme ce virus variant, n'est pas nouvelle. L'histoire nous rappelle même que cette peur n'est parfois pas justifiée : nous avons connu celle de la « grippe aviaire » en 2005 due au virus H5N1 qui ne provoqua jamais une pandémie, le virus ne s'étant jamais adapté à l'espèce humaine avec des contaminations interhumaines, puis celle de la « grippe porcine » en 2009 alors que le porc n'était pas impliqué et qu'il s'agissait d'une grippe d'origine humaine. 

Dans le cas particulier des visons danois, après l'abattage des trois premiers troupeaux infectés, les deux mutations du gène codant pour la protéine S1 du virus Sars-CoV-2 pouvant présenter un danger pour la santé publique ont été signalées dès le 4 septembre par le Statens Serum institut (SSI). La surveillance des troupeaux et de la population a permis d'isoler, à partir de cette date, deux virus variants présentant une modification du gène codant la protéine S1*.

Mutations fréquentes, souvent sans conséquences

Les mutations sont fréquentes chez les coronavirus car il s'agit de virus à ARN. Cependant, elles sont souvent sans conséquence importante et donc rien ne justifie une inquiétude particulière pour ces premiers cas isolés.

Le premier variant (A22920T) a été isolé dans les fermes 1, 2 et 3 et chez des personnes des fermes 1 et 2 dans la région du Nord Jutland. Le deuxième variant a permis de noter une mutation supplémentaire avec une délétion de deux acides aminés en position 21766-21771 sur le gène A22920T codant la protéine S1 (observée dans les 6 fermes de visons 4 à 10 et chez des personnes associées aux quatre fermes 4, 5, 6 et 9).

Rappelons que la protéine S1 est la cible des virus vaccinaux en cours de développement.

D'autres variants (foyers 3 et 4) ont été isolés et font actuellement l'objet d'études approfondies.

Le Danemark a pu ainsi identifier 5 foyers (ou clusters) de virus variants mais c'est seulement le virus variant du « foyer 5 » (ou cluster 5) qui a déclenché l'alerte du 4 novembre, après que l'on eut observé une diminution de sa neutralisation in vitro par le sérum des convalescents guéris du Covid-19 ainsi que son passage sur l'Homme (12 personnes diagnostiquées en août et septembre).

Néanmoins, ce virus variant ne s'est pas montré plus dangereux que le Sars-CoV-2 classique chez les personnes atteintes (symptômes et contagiosité comparables).

Confinement de 280 000 personnes

Le 5 novembre, le Danemark a renforcé les mesures de biosécurité en confinant la population (soit 280 000 personnes) de la région des fermes concernées par le virus variant (foyer 5) jusqu'au 3 décembre (https://bit.ly/2UxvccG).

Le ministre de la Santé Magnus Heunicke a déclaré que la moitié des 783 cas de coronavirus humains dans le Nord du Danemark étaient liés au vison. Les habitants des sept municipalités concernées du Nord du Jutland sont fortement encouragés à ne pas quitter leur région, de se faire dépister et de travailler à leur domicile. Il est interdit de se rendre dans la zone de restriction.

D'autres mesures ont été décidées : arrêt des transports en commun (bus, trains), fermeture des musées, des bibliothèques, des piscines et des gymnases, rassemblements publics limités à un maximum de 10 personnes (https://bit.ly/32S1LGN).

D'autres pays concernés

Les Pays-Bas (128 fermes de visons) sont le premier pays ayant annoncé le 26 avril la contamination de deux fermes de visons par le Sars-CoV-2. Puis, le nombre de fermes infectées a augmenté progressivement (33 au 14 août, puis 52 au 14 septembre).

Deux millions de visons ont alors été éliminés et les autorités néerlandaises souhaitent avancer l'interdiction des élevages de visons avant 2024 comme prévu.

C'est aussi à cette période (le 1 er septembre) que les premiers cas humains contaminés par les visons sont signalés aux Pays-Bas (Oude Munnink BB et al. Jumping back and forth: anthropozoonotic and zoonotic transmission of SARS-CoV-2 on mink farms, bioRxiv preprint, doi: https://doi.org/10.1101/ 2020.09.01.277152) .

Cette étude confirme le risque d'un réservoir de Sars-CoV-2 représenté par les élevages de visons infectés déjà évoqué dans le communiqué bi-académique de l'Académie nationale de médecine et de l'Académie vétérinaire de France du 23 juillet dernier.

En octobre, le nombre de fermes infectées augmente, passant de 62 le 6 octobre à 70 le 29 octobre malgré les mesures de biosécurité, dont l'abattage des animaux des fermes infectées, sans que l'on connaisse l'origine exacte des contaminations.

Selon l'épidémiologiste hollandaise vétérinaire Francisca Velkers, «  le polar n'est pas encore résolu  ».

En Espagne, le 16 juillet, les 100 000 visons d'un élevage, comprenant 90 % d'animaux positifs, sont abattus.

Aux États-Unis, dans le Wisconsin, deux fermes ont été déclarées infectées, la première le 8 octobre, la seconde le 5 novembre (https://bit.ly/38PFo8S).

En Italie, le 27 octobre, une ferme de visons est déclarée infectée (2 échantillons positifs pour le Sars-CoV-2 en août 2020).

Le gouvernement italien s'est limité à la surveillance des cas cliniques (alors que beaucoup d'animaux infectés peuvent être asymptomatiques). Cependant, la fermeture d'urgence des fermes de visons est demandée au Premier ministre et au ministre de la Santé.

En Suède, le 24 octobre, le premier cas est déclaré dans une ferme suédoise. Le propriétaire et son père étaient positifs au test Covid-19 et tous les animaux testés étaient positifs.

Au 6 novembre, 9 autres fermes sont déclarées infectées mais les Suédois annoncent qu'ils n'ont pas l'intention d'éliminer leurs élevages de visons (soit 600 000 animaux) à ce stade car 80 % de ces animaux vont être tués dans les prochaines semaines pour la production de la fourrure. La collecte des peaux se fera avec des mesures de biosécurité.

Enfin, rappelons qu'il existe actuellement quatre fermes de visons en France qui sont sous surveillance vétérinaire et qui sont indemnes (situation au 16 novembre).

* Publications disponibles aux adresses https://bit.ly/2UzpcAi et https://bit.ly/36JNJZ1.

Article paru dans La Dépêche Vétérinaire n° 1549

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