Les vétérinaires européens face au Covid-19 : entre difficultés et mobilisation

Pandémie mondiale, le Covid-19 impacte nos confrères des autres pays dont le ressenti diverge en fonction des États.

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Pierre-Louis HELMREICH

Pandémie

La situation des vétérinaires européens, relayée et mise à jour par la Fédération vétérinaire européenne, semble assez similaire dans chacun des 13 pays* investigués par l'association. Alors que tous font face aux difficultés relatives à la baisse d'activité et du personnel, de nombreux confrères se mobilisent afin d'apporter leur soutien aux médecins et à l'ensemble des personnels soignants, que ce soit en donnant de leur temps ou en fournissant une aide matérielle.

La Fédération vétérinaire européenne (FVE) informe régulièrement les vétérinaires sur l'état de la situation du monde vétérinaire à travers l'Europe. Grâce à un questionnaire envoyé, le 18 mars, à tous les confrères européens, la FVE a enquêter sur la façon dont s'organise la profession treize pays* ont répondu. 

Les résultats ont été rendus public le 24 mars. Dans les treize pays ayant répondu, les services vétérinaires ou au moins une partie sont considérés comme essentiels et autorisés à continuer de fonctionner, avec la prise de mesures réduisant le risque d'infection. « Tous les gouvernements semblent réaliser que les vétérinaires sont primordiaux pour assurer la sécurité alimentaire et le contrôle des maladies » , affirme la FVE.

La plupart des pays laissent à la profession le soin de décider quels propriétaires accepter, ou pas, en consultation. Sachant que cette crise pourrait durer des semaines, des cas considérés comme non urgents dans l'immédiat peuvent le devenir.

Concernant la médecine des petits animaux, les principaux effets de cette pandémie à travers l'Europe sont économiques, avec une diminution du nombre de visites, et humains, avec une baisse de personnel dans les structures vétérinaires pour de nombreuses raisons (maladie, dont Covid-19, garde des enfants, etc.).

Concernant la médecine des animaux de production, la plus grande difficulté reste celle du nombre de vétérinaires disponibles pouvant continuer de travailler dans les zones rurales, assurer les visites d'abattoir et continuer les contrôles officiels.

Soutien financier des gouvernements

Dans la plupart des pays, les gouvernements proposent ou promettent un soutien financier, comme en Suisse où 32 milliards d'euros ont été débloqués afin d'aider les entreprises rencontrant des problèmes de paiement ou de trésorerie.

Enfin, la FVE précise qu'aucune pénurie concernant les médicaments vétérinaires n'est rapportée, même si des problèmes sont rencontrés dans l'approvisionnement en équipements médicaux tels que les masques et les gants.

Partout en Europe, les vétérinaires se mobilisent contre le Covid-19 :

- en faisant l'inventaire des respirateurs et autres équipements médicaux disponibles pour les médecins et l'ensemble des personnels soignants ;

- certains pays, dont la France, ont mis en place une réserve sanitaire à laquelle s'inscrivent de nombreux vétérinaires ;

- des tests de diagnostic du Covid-19 sont effectués par des instituts et laboratoires vétérinaires ;

- de nombreux confrères, comme en Norvège, aident directement leur gouvernement dans la gestion et le contrôle de cette maladie.

Les dernières informations sont continuellement mises en ligne sur le site de la FVE qui s'est également associée à la Fédération européenne des vétérinaires pour animaux de compagnie (Fecava) pour créer deux brochures sur les mesures d'hygiènes à adopter pendant cette crise, également en ligne et disponible en plusieurs langues.

* Belgique, République tchèque, Danemark, France, Allemagne, Islande, Irlande, Italie, Pologne, Norvège, Slovaquie, Suisse et Royaume-Uni.

Le ressenti des vétérinaires européens

Maud LAFON

Pandémie mondiale, le Covid-19 impacte nos confrères des autres pays. En Europe, le ressenti diverge en fonction des Etats.

Belgique : résignation et humour

L'Agence fédérale pour la sécurité de la chaîne alimentaire (Afsca, équivalent belge de l'Anses*) a précisé la situation et le ressenti des vétérinaires belges face à l'épidémie de Covid-19 et le confinement inhérent. 

Le statut de vétérinaire volontaire, toujours en activité, dépend des provinces et des communes. Dans les régions où les contaminations sont nombreuses, le volontariat est bienvenu mais pas obligatoire.

Comme en France, les vétérinaires ne sont pas prioritaires pour l'octroi des masques et autres équipements de protection et doivent se débrouiller pour s'en procurer.

« En Wallonie, un crédit passerelle de 1 450 euros par mois a été accordé aux indépendants. Les vétérinaires peuvent effectuer des urgences (bien-être animal et lutte sanitaire) sans perdre ce droit. Dans les autres régions (Flandre et Bruxelles), c'est à l'étude » , précise l'Afsca.

En ce qui concerne la cohésion professionnelle, « les vétérinaires approuvent à 95 % l'Union professionnelle vétérinaire (UPV) mais déplorent le manque de réactivité de l'Ordre, d'autant plus que les messages sont un peu divergents entre l'Ordre flamand et francophone. Cela se comprend, vu la situation différente en Flandre (beaucoup plus contaminée) et en Wallonie » , ajoute l'association.

Elle précise aussi que les vétérinaires belges se sont basés initialement sur la position de l'Ordre français, qui a changé par la suite, et dont les principes était inapplicable en Belgique, pays qui n'est pas en état d'urgence.

Concernant l'humeur des vétérinaires belges, elle note beaucoup de résignation mais aussi d'humour et le désir de rendre service qui persiste chez tout le monde.

« L'ambiance est plutôt détendue mais vigilante et l'UPV tire bien son épingle du jeu : excellents contacts avec la santé publique, la ministre de la Santé ayant apprécié la proposition de prêt par les vétérinaires des respirateurs et oxygénateurs, et avec l'Agriculture, qui apprécie la disponibilité des vétérinaires » , conclut l'Afsca.

Pologne : comme d'habitude

Dans ce pays, les vétérinaires travaillent comme d'habitude mais avec des mesures de protection renforcées.

Jusqu'à présent, ils n'ont pas eu à se mobiliser pour fournir du matériel aux hôpitaux humains.

Contrairement à la France, ils ont à leur disposition des dispositifs de protection (blouse, gants, masques).

Concernant l'impact économique et d'éventuelles subventions, les vétérinaires sont conscients des effets potentiels de la crise mais ne comptent a priori que sur leur travail, sans espérer d'aide de l'Etat.

Vis-à-vis de la situation générale et de son évolution, ils se peuvent s'appuyer sur aucune position officielle et préfèrent être optimistes. « L'idée générale est que nous finirons par gagner le combat en utilisant une bonne hygiène et la biosécurité » , indique notre confrère polonais Piotr Kwiecinski, président de l'Union européenne des vétérinaires praticiens.

« Chacun a ses propres opinions et sentiments sur la situation et il est difficile de généraliser sur une position commune des vétérinaires. En nous appuyant sur notre expérience dans la lutte contre les maladies contagieuses à plus grande échelle dans le secteur animal, nous nous préoccupons davantage de l'impact économique que des problèmes de santé » , ajoute notre confrère.

Danemark : une situation anxiogène

Au Danemark, les cliniques peuvent fonctionner comme d'habitude. Certaines ont préféré
fer mer, d'autres n'accueillent que les urgences.

Jusqu'à présent, les vétérinaires n'ont pas offert leur aide aux hôpitaux et unités médicales humaines mais « la situation n'est pas si mauvaise au Danemark. Certains vétérinaires se sont inscrits comme volontaires si la situation empire » , précise notre confrère Hanne Knude Palshof, président de l'Association vétérinaire danoise. 

Aucun référencement des respirateurs utilisés en cliniques vétérinaires et utilisables en humaine n'a encore été effectué.

Les équipements de protection sont ceux utilisés pour la chirurgie standard.

Si l'impact économique global sur la profession est pour l'instant impossible à prévoir, les vétérinaires danois estiment possibles d'obtenir un soutien économique de leur gouvernement.

Dans ce pays comme dans beaucoup d'autres, l'opinion des vétérinaires sur la position à adopter à l'échelle de la profession n'est pas unanime. « Certains vétérinaires pensent que nous devrions recommander une fermeture totale des cliniques » , précise notre confrère.

Quoi qu'il en soit, il note une ambiance générale morose, dans laquelle la peur prédomine.

Espagne : peu de coordination au niveau central

En Espagne, les cliniques ne sont ouvertes que pour les urgences et respectent des mesures de sécurité strictes : prise de rendez-vous par téléphone, une seule personne pour accompagner l'animal...

« Pour définir l'urgence, la connaissance de l'éthique professionnelle et du cas doit prévaloir, en évitant que certains professionnels puissent profiter de la situation actuelle et ne pas respecter les mesures de distanciation sociale », explique notre confrère Rafael Laguens, président de l'Association mondiale vétérinaire.

Certificat ou carte professionnels sont nécessaires aux vétérinaires pour tous leurs déplacements.

A priori, les praticiens n'apportent pas encore leur aide concrète aux hôpitaux ou unités médicales humains mais il existe des initiatives de plate-formes de volontaires vétérinaires dans lesquelles ils proposent d'effectuer certaines tâches, telles que du soutien aux soins infirmiers, à la pharmacie et à d'autres professionnels de la santé, des tâches de biosécurité, d'hygiène ou de sécurité alimentaire, des travaux de laboratoire, une assistance au diagnostic radio, etc.

« Certains vétérinaires liés à certains collèges vétérinaires (structure provinciale de l'organe statutaire), effectuent, de leur propre initiative, des travaux de stérilisation sur les masques sanitaires. L'école vétérinaire de Madrid a proposé à ses laboratoires d'effectuer des tests de diagnostic et ils travaillent à la mise en oeuvre de techniques approuvées » , ajoute Rafael Laguens.

L'administration a demandé à toutes les cliniques vétérinaires, par le biais des collèges vétérinaires, des informations détaillées sur les ventilateurs et autres fournitures médicales disponibles en vue d'un éventuel prêt pour la santé humaine. Certains confrères avaient déjà confié des ventilateurs.

Concernant les équipements de protection, les vétérinaires disposent du matériel qu'ils avaient entreposé avant le début de la crise mais il est actuellement impossible d'en acquérir du nouveau.

Du côté de l'impact économique attendu, aucune étude ou prévision l'évaluant n'est disponible.

« En ce qui concerne le gouvernement, la seule mesure économique que je connaisse est que le paiement de la TVA pour ce trimestre a été retardé » , annonce le président de l'Association mondiale vétérinaire.

Face à la crise, « la décentralisation politique de l'Espagne rend toujours la coordination difficile au niveau central. Le Conseil général des collèges vétérinaires (structure nationale de l'organe statutaire) est l'interlocuteur avec le gouvernement central et a produit différentes déclarations et du matériel informatif (brochures et affiches) pour les vétérinaires et les propriétaires. Certains conseils des régions autonomes (structure régionale de l'organe statutaire) et même certains collèges provinciaux ont publié leurs propres outils d'information. Les associations vétérinaires pour petits animaux et l'association des vétérinaires d'entreprise ont également produit leurs documents. On ne peut pas dire que tous ces supports se contredisent mais ils ne donnent certainement pas l'impression qu'il y a eu une coordination et un dialogue entre toutes les parties de la profession à l'heure actuelle » , déplore Rafael Laguens.

En ce qui concerne l'atmosphère générale, les vétérinaires sont préoccupés par la situation actuelle et ses conséquences futures.

« Au début, il y avait des inquiétudes jusqu'à ce que les normes juridiques concernant la profession deviennent claires. Mais les vétérinaires travaillent et se battent en tant que citoyens et professionnels pour surmonter cette situation le plus rapidement posible » , conclut notre confrère.

Italie : activité maintenue mais beaucoup d'appréhension

En Italie, les recommandations émanent de la Fédération nationale des vétérinaires italiens (Fnovi) mais le gouvernement autorise la pratique vétérinaire dans son ensemble en tant que service essentiel. « Bien sûr, la prévention et la protection doivent être garanties ainsi que la distance appropriée et la réduction de la mobilité à l'essentiel » , précise notre confrère Giacomo Tolasi.

Jusqu'à présent, les vétérinaires, même si certains le feraient volontiers, n'ont pas apporté leur contribution aux soins hospitaliers humains. Un seul cas de don de matériel a été finalisé en faveur d'un hôpital : il s'agissait d'un appareil humain à usage vétérinaire au sein d'une grande clinique vétérinaire.

« Le système national officiel n'a organisé aucun rappel national des instruments et du matériel, seulement une reconnaissance par le biais de la Fnovi. Je ne suis pas sûr que ces instruments vétérinaires puissent vraiment convenir au cas humain. Par ailleurs, certains soins vétérinaires pâtiraient de cette privation de matériel essentiel qui se ferait donc au détriment des patients animaux » , ajoute notre confrère italien.

Un approvisionnement supplémentaire en masques et équipements de protection est nécessaire dans les cliniques vétérinaires. « Le gouvernement essaie de s'assurer que tous les professionnels de la santé sont correctement équipés, ainsi que les travailleurs actifs. Nous nous efforçons de maintenir la biosécurité à long terme » , précise Giacomo Tolasi.

Comme partout ailleurs, les vétérinaires italiens appréhendent l'impact économique de la crise sanitaire et espèrent un allègement des taxes et un soutien financier de la part du gouvernement.

Le ressenti des vétérinaires est inégal : certains ont peur et sont en grande difficulté, d'autres peinent à trouver leur place. « Par conséquent, la voix de la profession, provenant des organisations vétérinaires et des institutions, peut sembler inefficace. Il faut du temps pour faire face à tout cela et s'accorder sur une vision commune. Nous sommes à mi-chemin » , poursuit notre confrère.

Concernant l'ambiance et l'atmosphère générale, les vétérinaires n'ont pas pris pleinement conscience de leur importance en termes de sécurité sanitaire notamment en cette période de crise.

Suède : les mieux préparés

La démarche des Suédois vis-à-vis du Covid-19 s'appuie notamment sur des travaux conduits au cours des dernières années pour se préparer à affronter des situations de crise majeure ou de guerre. Tous les foyers suédois avaient reçu, il y a deux ans, un dépliant intitulé « en cas de crise ou de guerre » , qui avait surpris dans les autres pays européens mais se révèle utile aujourd'hui.

Le pays n'a donc pas adopté le confinement et poursuit son activité à l'identique.

Seuls les rassemblements de plus de 500 personnes ont été interdits, ainsi que les visites dans les maisons de retraite. Le reste n'est que recommandation : se laver les mains, ne pas sortir de chez soi en cas de symptômes grippaux, renoncer aux interactions sociales pour les plus de 70 ans et les personnes à risque.

Allemagne : presque comme avant

Comme les autres pays européens, l'Allemagne est touchée par la pandémie de Covid-19 mais, dans ce pays, les cliniques vétérinaires sont restées ouvertes sans restriction, la profession vétérinaire étant considérée comme faisant partie des infrastructures essentielles.

« La coopération avec la médecine humaine concerne le dépistage et le prêt de respirateurs », précise notre confrère Heiko Färber, directeur général du syndicat allemand des vétérinaires praticiens.

Environ 400 appareils d'assistance respiratoire ont ainsi été prêtés.

Les vétérinaires ont accès à du matériel de protection même si les masques FFP2 et FFP3 sont réservés à la médecine humaine.

Les praticiens s'attendent à un fort impact économique. « Le chiffre d'affaires est réduit d'environ 30 % pour l'activité petits animaux et équine. L'impact est moindre pour les animaux de rente », estime notre confrère.

Il précise que des subventions sont allouées par le gouvernement pour les petites et moyennes entreprises (selon la taille, entre 3 et 15 000 euros).

« La profession est plus ou moins unie face à la crise mais tous les vétérinaires sont très anxieux vis-à-vis du virus (les praticiens accueillent également moins d'étudiants pour les internats) et de ses impacts économiques », conclut Heiko Färber.

Grande-Bretagne : flou pour les canins

En Grande-Bretagne, une partie des vétérinaires entre dans la catégorie des key workers , ce statut permettant à ses détenteurs de continuer à confier leurs enfants à l'école (lire DV n° 1522). Le statut des vétérinaires canins reste cependant un peu flou. À moins de gérer les urgences médicales, ces derniers pourraient ne pas rentrer dans cette catégorie des key workers .

Article paru dans La Dépêche Vétérinaire n° 1523

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