Écoles vétérinaires privées : une table ronde ouvre la discussion
Mercredi 2 Décembre 2020 Vie de la profession 38099La table ronde a été organisée sous forme de visioconférence par Wizzvet.
© D.R.
Maud LAFON
Formation
Une table ronde réunissant pour la première fois le porteur d'un projet d'école vétérinaire française privée et des représentants d'organisations professionnelles s'est tenue par viosioconférence, le 27 novembre. Pris de cours par la précipitation de deux sénateurs à porter les amendements permettant la création d'écoles vétérinaires privées, sans concertation, les organismes professionnels vétérinaires déplorent l'absence de débat préalable. Pour autant, le texte ayant été validé devant les deux assemblées, très rapidement selon eux, ils exigent d'être associés à la rédaction des décrets d'application de la loi.
« Décrypter les enjeux et les impacts de (la) réforme, faire un état des lieux des besoins de la profession en termes de formation initiale, évaluer les projets actuels et alternatifs, ébaucher des solutions » étaient les objectifs d'une table ronde organisée en visioconférence par Wizzvet, le 27 novembre, portant sur l'amendement autorisant la création d'écoles vétérinaires privées (lire DV n° 1550). Retransmise également en direct sur Facebook, elle a été suivie par plus de 130 vétérinaires, pas toujours de façon fluide en raison de problèmes techniques (le sénateur vétérinaire Arnaud Bazin faisait partie des invités mais n'a pu intervenir pour cette raison).
Cette table ronde a réuni plusieurs acteurs de la profession - nos confrères Laurent Somon, vétérinaire, sénateur LR de la Somme, Stéphane Martinot, président de l'AEEEV*, l'organisme chargé de l'accréditation des établissements vétérinaires en Europe, Vanessa Louzier, professeur de physiologie, pharmacodynamie et thérapeutique à VetAgro Sup, présidente de la FSEEVF** qui représentait ici les enseignants chercheurs, Jean-Yves Gauchot, président de la FSVF***, Christophe Hugnet, représentant du Ssevif****, Laurent Perrin, président du SNVEL*****, et Marie Cauchois, administratrice du groupe Facebook Contre la création d'écoles vétérinaires privées en France (collectif Vétérinaires en colère) - ainsi que l'instigateur d'un projet d'école vétérinaire privé déposé à la Direction générale de l'enseignement et de la recherche (DGER) - Philippe Choquet, directeur général d'UniLaSalle, le groupe qui propose l'ouverture d'une école vétérinaire privée à Rouen.
Ecole associative reconnue d'intérêt général
A noter l'absence de l'Ordre et de la DGER, qui ont décliné l'invitation.
Philippe Choquet a pris la parole en premier pour présenter son projet qu'il positionne comme une alternative à la fuite des étudiants vers l'étranger pour suivre une formation vétérinaire (près de la moitié d'entre eux se forme hors de France selon le dernier Atlas démographique de la profession vétérinaire de l'Ordre). Cette nouvelle école normande serait « une école sous label Eespig******, donc une structure associative reconnue d'intérêt général, en contrat avec le ministère de l'Agriculture, s'inscrivant dans la réglementation européenne, accréditée AEEEV et elle répondra aux critères du Code rural ».
« La finalité de ce projet est de former des vétérinaires aux standards de qualité (académiques, formation par la recherche, formation clinique), à l'écoute des besoins professionnels », a insisté le directeur d'UniLaSalle.
Ce dernier a ajouté vouloir « offrir des modalités de formation originales, pas strictement similaires à celles des écoles vétérinaires publiques, et amener de la diversité en termes d'offre de formation et de profil de recrutement ». Il a cité par exemple la large place faite aux stages (un stage par an), un enseignement clinique dans un système semi-distribué (l'école aura son propre hôpital vétérinaire et établira des partenariats stratégiques avec des professeurs détachés dans des cliniques privées, sous forme de convention, à l'instar de ce qui existe déjà dans d'autres pays et permet de mettre les étudiants en situations cliniques réelles) et l'accent mis sur l'internationalisation.
Formation en six ans
Concernant le cursus, il s'agirait d'une formation en six ans : cinq ans dans l'école (dont un an de prépa intégrée) et un an de thèse d'exercice en partenariat avec l'université de Rouen. Le recrutement se ferait post-bac sur dossier, concours et entretien.
Il a rappelé qu'une proposition similaire concernant le campus UniLaSalle d'Amiens avait déjà été déposée en 2008. Elle avait avorté en raison d'une demande de subventions non appréciée par le ministère. Le groupe s'est donc abstenu cette fois-ci et reconnaît donc un restant à charge élevé pour les élèves (environ 15 000 euros par an) malgré la compression des coûts consentie. Sur ce sujet tarifaire, Philippe Choquet s'est néanmoins dit « ouvert à la discussion ».
Concernant l'accréditation par l'AEEEV, Stéphane Martinot a rappelé que le critère privé ou public de l'enseignement, par ailleurs pas toujours si simple à distinguer ni réellement discriminant dans d'autres pays européens où on observe une très grande variabilité de statuts dans l'enseignement (fondations, écoles privées à but lucratif, départements d'université, écoles étatiques...), n'était pas pris en compte dans l'évaluation des établissements. Seule compte la convergence des modalités d'enseignement proposées par rapport aux standards de l'association.
Tendance au désengagement des Etats
Il s'est dit d'ailleurs incapable de préciser le nombre d'écoles privées en Europe tant la définition exacte de ce type d'établissement reste floue. « Nous constatons néanmoins une tendance dans tous les pays à ce que les nouveaux établissements qui nous sont présentés ne soient pas financés par l'Etat », a-t-il observé.
Les trois présidents de syndicats professionnels présents n'ont pas montré d'opposition de principe au projet mais ont regretté « l'absence de réel débat au Parlement » et le fait que l'amendement parlementaire ait été téléguidé par UniLaSalle.
« La problématique vient de la création d'un établissement privé à partir d'une feuille blanche, sans concertation préalable avec les acteurs professionnels », a déploré Jean-Yves Gauchot. Le second écueil selon lui concerne les attendus de l'amendement qui ne va résoudre en rien le problème du maillage vétérinairte inhérent à des défauts d'attractivité des territoires et non à un manque d'effectifs.
Ces deux points justifient selon lui la demande de moratoire.
Signal mal perçu par les vétérinaires
« Nous avons été pris de cours par une modification législative arrivée très rapidement sans que nous y participions », a ajouté Laurent Perrin en estimant que le problème d'effectifs auquel était confronté la France aurait pu être réglé plus simplement, en remettant des moyens dans les écoles nationales vétérinaires (ENV).
« Les relations entre les vétérinaires et l'Etat sont déjà distendues et ce nouveau signal de désengagement de l'Etat de leur formation initiale risque d'être très mal perçu par les confrères », a-t-il poursuivi.
Il espère désormais être consulté et écouté en ce qui concerne la rédaction des décrets d'application, attendus pour l'année prochaine. « Cette association des vétérinaires est une exigence pour garantir un enseignement vétérinaire de qualité et au moins équivalent à celui des ENV », a-t-il insisté.
Pour Christophe Hugnet, la notion d'indépendance doit prévaloir et il s'agit d'être vigilant sur la non implication d'industries pharmaceutiques ou de petfoodeurs dans ce nouvel établissement. Le critère d'accessibilité doit également être étudié pour que « ce nouveau diplôme ne devienne pas la caricature d'un diplôme qu'on achète ».
Installation corrélée au lieu d'études
Pour Laurent Somon, même s'il déplore avoir découvert l'amendement avec surprise et n'avoir pas apprécié ce « côté cavalier », ce projet peut être positif dans le sens où la zone d'installation des vétérinaires est fortement corrélée à leur lieu d'études et pourrait donc en partie résoudre le problème d'attractivité territoriale.
Le discours est plus radical du côté des enseignants chercheurs et du collectif « Vétérinaires en colère » représenté par notre consoeur Marie Cauchois. « La profession s'est fait planter un couteau dans le dos par certains de ses pairs », a-t-elle clamé soulignant la colère des confrères et des étudiants sur la forme mais aussi sur le fonds du projet qui s'apparente à une « dévalorisation de la profession ». Le désengagement de l'Etat cristallise également leur courroux.
« Si les vétérinaires ne sont pas entendus pour la rédaction des décrets d'application, ils sont prêts à se mobiliser, à remettre en cause leur mandat sanitaire, voire à manifester », a-t-elle prévenu.
Incidence sur le recrutement des enseignants
Vanessa Louzier craint l'incidence de cette réforme sur le recrutement des enseignants vétérinaires, déjà difficile dans les ENV (former 100 étudiants nécessite 59 ETP vétérinaires selon les critères de l'AEEEV), mais aussi sur la recherche. Pour elle, « les écoles vétérinaires privées sont une mauvaise réponse à un constat partagé qui est celui du manque de vétérinaires dans les territoires ruraux et du manque global de vétérinaires ». Le prix du cursus risque d'être un frein à leur installation là où c'est nécessaire.
Elle craint également les « différences » évoquées par Philippe Choquet dans l'enseignement qui risquent d'aboutir à « un diplôme différent, ce que nous ne souhaitons pas ».
Reste donc aujourd'hui à attendre la publication des décrets d'application de la loi et à être vigilants quant à leur rédaction, a conclu le sénateur Laurent Somon en précisant qu'il y aurait toujours la possibilité de déposer des recours.
« Nous avons l'intention d'associer les syndicats professionnels et l'Ordre à cette rédaction et à la gouvernance de l'école », a rassuré Philippe Choquet. A suivre donc.■
Encore plus d'infos !
Replay de la table ronde bientôt disponible sur le site www.wizzvet.com
* AEEEV : Association européenne des établissements d'enseignement vétérinaire.
** FSEEVF : Fédération syndicale des enseignants des écoles vétérinaires françaises.
*** FSVF : Fédération des syndicats vétérinaire de France.
**** Ssevif : Syndicat des structures et établissements vétérinaires indépendants de France.
***** SNVEL : Syndicat national des vétérinaires d'exercice libéral.
****** Eespig : Etablissement d'enseignement supérieur privé d'intérêt général.