Écoles privées : les représentants syndicaux satisfaits de la concertation qui a eu lieu mais prudents

Laurent Perrin (à gauche), président du SNVEL, et Jean-Yves Gauchot, président de la Fédération des syndicats vétérinaires de France.

© Jacques Graf

Globalement, les représentants syndicaux vétérinaires se félicitent de la concertation qui a eu lieu autour de l'élaboration des textes d'application pour l'agrément des écoles vétérinaires privées. Ils demeurent cependant prudents sur certains points, comme sur l'application qui sera faite des garanties ainsi définies.

La Dépêche Vétérinaire : Le décret du 23 novembre relatif à la formation des vétérinaires et modifiant diverses dispositions du Code rural, publié le 25 novembre, prévoit notamment la création et les modalités de délivrance d'un agrément aux établissements d'enseignement vétérinaire privés. Sa publication intervient suite à l'adoption en novembre 2020 de l'article 22 bis de la loi de programmation de la recherche pour les années 2021 à 2027. Globalement, quels commentaires vous inspirent ce premier texte d'application ?

Laurent Perrin, président du Syndicat national des vétérinaires d'exercice libéral (SNVEL) : La rédaction de ce décret a été faite en relation étroite avec les organisations professionnelles vétérinaires à la demande expresse de celles-ci qui souhaitaient sécuriser le fonctionnement de ces éventuelles nouvelles écoles vétérinaires.

Les garanties d'indépendance, de qualité de l'enseignement et d'équivalence d'exigence en terme d'encadrement, de structures de l'établissement et de niveau des enseignants ont été inscrites dans le texte au travers de l'obligation d'accréditation par l'AEEEV*. Cela répond aux demandes exprimées lors de la concertation.

La pérennisation du groupe de travail qui a participé avec le ministère à l'élaboration de ce texte au travers de la commission consultative sur toute demande de nouvel agrément ou d'avenant à un agrément nous satisfait. Même si elle n'est que consultative, elle permettra malgré tout d'être informé de toute demande.

Jean-Yves Gauchot, président de la Fédération des syndicats vétérinaires de France (FSVF) : Il faut replacer effectivement ce décret dans le contexte législatif autorisant désormais la possibilité aux établissements d'enseignements supérieurs agricoles privés d'intérêt général (EESPIG) et sous contrat avec l'État d'ouvrir des écoles vétérinaires privées.

La profession dans son ensemble a été très partagée sur le sujet, notamment à cause de la pénurie actuelle de jeunes diplômés. Au sein de la FSVF, les syndicats étaient eux-mêmes en opposition.

Le cabinet du ministre a par ailleurs exclu la FSVF du Cneseraav**. Je ne peux m'empêcher de penser que c'était parce que, sur le sujet des écoles vétérinaires privées, la FSVF était elle-même partagée. 

Je note que, lors des consultations dans les différents lieux de concertations officielles de l'État, de nombreux syndicats, au Cneseraav, au Conseil national de l'enseignement agricole, ont voté contre tandis que les représentants des alumni se sont abstenus.

Toutefois, le décret offre des points sécurisants notamment sur le nécessaire agrément du dossier de candidature d'une école vétérinaire privée par une commission d'experts issus du système d'évaluation européen (AEEEV), la constitution d'une commission avec des représentants de la profession vétérinaire (Ordre, syndicats, organisations professionnelles vétérinaires (OPV)) pour toute demande de conclusion d'un contrat ou d'un avenant aux contrats en cours entre l'État et les EESPIG.

Parallèlement à cette possibilité désormais offerte par la loi, et c'était l'objet d'une demande officielle de la FSVF au ministre Julien Denormandie en juillet 2021, il faut se réjouir de l'annonce récente par le ministre d'augmenter les moyens attribués aux écoles nationales vétérinaires (ENV) dans un plan pluriannuel. 

Je crois pouvoir dire sans me tromper que l'ensemble de la profession vétérinaire est très satisfaite de l'annonce ministérielle d'augmenter les moyens alloués aux ENV afin que les écoles publiques puissent répondre aux enjeux sociétaux actuels de l'enseignement et de la profession vétérinaire : la démographie, le maillage vétérinaire en zones de faible densité d'élevage, la qualité de la recherche vétérinaire française.

Les syndicats et les autres corps intermédiaires de la profession ont largement oeuvré pour cette prise de conscience par le ministère de la possibilité, donnée par l'ouverture d'établissements d'enseignement privés, des risques désormais prégnants d'un non respect des critères de l'AEEEV et d'une inadéquation avec la demande du marché.

D.V. : Le nouveau décret organise les modalités de recrutement, d'évaluation et de diplomation des étudiants dans ce nouveau cadre. Quelles sont à ce propos vos inquiétudes et vos lignes rouges ?

L.P. : Ces modalités sont sur le même modèle que celles des étudiants des ENV.

L'inquiétude que nous avons exprimée est sur le nombre d'étudiants formés. cet effectif est contraint par les exigences de l'AEEEV en terme d'encadrement et donc seulement par les moyens financiers mis en oeuvre.

Pour ce qui est des jurys, leur composition est rassurante en termes d'indépendance.

J.-Y.G. : Le décret répond à nos attentes dans le cadre de la loi votée par les assemblées. Il a fait l'objet de discussion avec les syndicats vétérinaires et les autres OPV.

On peut déplorer le fait qu'il n'y aura pas d'obligation de centres hospitaliers vétérinaires pour toutes les espèces.

L'inquiétude porte également sur les objectifs affichés par la loi : est-ce qu'un cursus à 90 000 euros répondra aux enjeux de désertification en milieu rural ? L'avenir nous le dira.

La rupture d'égalité d'accès à la formation vétérinaire interroge également.

Par contre, et c'était une demande de la profession, l'admission post-bac (PACENV), les stages tutorés et l'application de la loi Daddue pour des aides des collectivités territoriales aux stages d'étudiants en insertion rurale répondront sûrement plus rapidement et plus sûrement à ces enjeux.

D.V. : Certaines mesures concernent les enseignants de ce nouveau type d'établissements. Des garanties sont-elles prévues pour éviter une fuite des enseignants des établissement publics vers les établissements privés ?

L.P. : Aucune mesure ne concerne cette garantie. Je me permets une analogie avec l'exercice vétérinaire : à l'instar de l'attractivité de l'activité rurale économique et organisationnelle qui sera le seul rempart à une fuite des diplômes vers la canine, l'Etat va devoir travailler sur l'attractivité des postes en ENV pour garder ses enseignants.

Les annonces récentes de renforcement des ENV faites par le ministère sont en mesure de nous rassurer partiellement sur ce point.

J.-Y.G. : Effectivement, il n'y a pas de garantie aujourd'hui dans le décret pour cette possible fuite d'enseignants. Ce sera à l'État et à la Direction générale de l'enseignement et de la recherche de montrer leur capacité de management des enseignants.

On peut espérer que l'annonce du ministre sur les moyens alloués aux ENV sera de nature à favoriser le maintien des enseignants dans le public. Le problème des ENV sera de trouver des candidats, les salaires proposés étant peu attractifs pour ces postes. Un praticien hospitalier (PH) contractuel (sur un statut d'ingénieur de recherche) au premier échelon gagne 2 100 euros nets par mois et ne touche pas de primes comme un fonctionnaire.

Aujourd'hui, il y a des postes de PH vacants dans les ENV vu les salaires peu attractifs...

Si les écoles vétérinaires privées offrent des salaires plus élevés aux enseignants ou de meilleures conditions de travail, nul doute qu'elles feront de la concurrence aux ENV. 

Toutefois, le modèle économique des écoles vétérinaires privées et la nécessaire indépendance demandée par la profession et écrite dans le décret ne devraient pas provoquer une bulle économique très attractive.

Sans doute que ceux qui partiront ou partageront leur temps d'enseignement et de recherche le feront par envie de relever le défi de ce nouveau mode d'enseignement privé vétérinaire.

D.V. : Quelles mesures complémentaires attendez-vous à cette étape ? 

J.-Y.G. : Nous serons vigilants sur l'engagement d'avoir une école accréditée AEEEV et qu'aucune autre école ne puisse voir le jour sans la garantie qu'elle répondra à ces mêmes obligations. Le ministre ayant un pouvoir discrétionnaire sur le sujet, il devra être attentif à cette garantie de qualité du modèle d'accréditation européen.

Il est également nécessaire de veiller à ce que les enseignants des disciplines fondamentales aient de préférence, pour certains d'entre eux, une formation vétérinaire, afin que les matières comme la physiologie, l'anatomie, la biochimie, la zootechnie, l'alimentation ne soient pas déconnectées des missions du vétérinaire qui sont avant tout le soin et la santé animale.

De même, il faudra faire attention à la porosité entre certaines disciplines à cheval sur la formation des ingénieurs agronomes et des vétérinaires. Les cursus doivent être bien distincts, même s'ils s'enrichissent dans certains cas, afin de ne pas laisser penser que les missions des deux professionnels sont identiques, une de ces professions, celle de vétérinaire, étant règlementée alors que l'autre ne l'est pas.

* AEEEV : Association européenne des établissements d'enseignement vétérinaire.

** Cneseraav : Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche agricole, agro-alimentaire et vétérinaire.


Article paru dans La Dépêche Vétérinaire n° 1596

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